Par Jacques Ritouret ♦
Extrait de l’Évangile : [Page 7]
[…]Qu’est-ce que la matière ?
Durera-t-elle toujours ?
L’Enseigneur répondit :
Tout ce qui est né, tout ce qui est créé,
tous les éléments de la nature
sont imbriqués et unis entre eux.
Tout ce qui est composé sera décomposé ;
tout reviendra à ses racines ;
la matière retournera aux origines de la matière.
Que celui qui a des oreilles pour entendre entende.
Pierre lui dit : Puisque Tu te fais l’interprète
des éléments et des événements du monde, dis-nous :
Qu’est-ce que le péché du monde ?
L’Enseigneur dit :
Il n’y a pas de péché.
C’est vous qui faites exister le péché
lorsque vous agissez conformément aux habitudes
de votre nature adultère ;
là est le péché.
Voilà pourquoi le Bien est venu parmi vous ;
Il a participé aux éléments de votre nature afin
de la réunir de nouveau à ses racines.
Il continua et dit :
Voici pourquoi vous êtes malades
et pourquoi vous mourrez :
c’est la conséquence de vos actes ;
vous faites ce qui vous éloigne…
Comprenne qui pourra.
Commentaire :
Avec l’Évangile de Marie, nous sommes d’emblée inscrits dans une voie et une perspective qui relève de la métaphysique. Le Christianisme tel qu’il nous apparaît dans cet Évangile est une voie de Connaissance.
Yeshoua ne se contente pas de donner des règles de vie et de proposer une amélioration de nos comportements. Il a aussi quelque chose à dire sur la « nature » du monde et de l’homme. Rien n’existe en soi ou par soi. Le monde est un tissu de relations. On ne peut saisir la moindre chose sans la saisir dans le filet et les nœuds des interdépendances qui la constituent. C’est vrai de la matière, c’est vrai aussi de la nature de l’homme, de son corps et des pensées qui l’animent.
Tout ce qui est, résulte d’un certain nombre de compositions plus ou moins complexes est aussi sujet à décomposition. C’est là une évidence qui nous rappelle que cet univers a eu un commencement et qu’il aura une fin. Ignorer cela peut être source d’illusion, d’attachement et donc de souffrance, comme le disent toutes les anciennes sagesses.
Se laisser informer par cette Parole de l’Enseigneur peut être, pour celui qui « a des oreilles pour entendre », source de salut et de libération. Aucune idolâtrie de la matière n’est plus possible. Relativiser ainsi la nature des choses va nous permettre de mieux les aimer, avec ce regard distancié et ce cœur détaché qui sont les symptômes d’une authentique santé de l’âme (« soteria » veut dire aussi bien « salut » et « santé » en grec).
Le monde, la matière, le corps, la sexualité ne sont pas le péché. Le péché est une désorientation du désir, une façon de viser à côté, de manquer le but. Yeshoua retrouve ici l’étymologie grecque du mot péché « hamartia » : « manquer la cible ». Dans la mesure où nous ne savons pas nous ajuster et nous harmoniser au Réel, nous sommes tous plus ou moins pécheurs.
Agir conformément aux habitudes de notre nature adultère, c’est d’abord agir conformément à des habitudes, à des modes de pensée qui, selon l’expression populaire, sont devenues comme notre seconde nature. Une nature qui s’est superposée à notre nature véritable, innocente ; un revêtement de projections, d’a priori, de jugements plus ou moins hérités de notre entourage, et que nous utilisons sans le moindre souci d’analyse ou de vérification. Pour savoir si ce prisme, à travers lequel nous décryptons le réel, nous renseigne bien sur le Réel, ou au contraire, nous le cache. Le mot « adultère » au sens biblique du terme signifie « idolâtrie », et n’a ici, évidemment, aucune connotation sexuelle.
L’Enseigneur est l’incarnation, la mise en pratique du Bien, manifestation de la grande Triade vénérée par les sages et les saints : la Vérité, la Bonté, la Beauté. Ce qu’il vient nous rendre, en semant ses informations dans les éléments de notre nature, c’est notre filiation perdue, notre mise en résonance avec l’Être incréé dont nous sommes issus : le Père ou Origine, le Principe dont par ignorance nous nous sommes éloignés, cet éloignement entraînant toutes sortes de maladies et de souffrances.
Mais par un nouvel acte de connaissance qui est à la fois « métanoïa » (passage au-delà du connu des mémoires qui nous constituent) et « téchouva » (acte de retour, de retournement de notre être extériorisé vers l’Être intérieur), nous pouvons nous en rapprocher, revenir et nous réunir à nos racines, comme l’Enseigneur et son Enseignement nous l’ont inspiré au jour de notre plus intime désir, au cœur de notre manque.
Extrait de l’Évangile : [Page 8]
L’attachement à la matière
engendre une passion contre nature.
Le trouble naît alors dans tout le corps ;
c’est pourquoi je vous dis : Soyez en harmonie….
Si vous êtes déréglés,
inspirez-vous des représentations
de votre vraie nature.
Que celui qui a des oreilles pour entendre entende.
Après avoir dit cela, le Bienheureux
les salua tous en disant :
Paix à vous, que ma Paix
soit engendrée et s’accomplisse en vous!
Veillez à ce que personne ne vous égare
en disant :
Le voici,
Le voilà.
Car c’est à l’intérieur de vous
qu’est le Fils de l’Homme ;
allez à Lui :
ceux qui Le cherchent Le trouvent.
En marche !
Annoncez l’Évangile du Royaume.
Commentaire :
C’est par nos actes que nous nous transformons et que nous pouvons espérer une vie nouvelle. La source des informations qui nous permettront de comprendre ce qui nous arrive est à l’intérieur de nous-mêmes. Personne ne peut nous dicter un comportement, une attitude, qu’il nous faudrait suivre aveuglément. Être en harmonie, c’est être en relation consciente et aimante avec ce qui est, sans convoitise ni désirs particuliers, qui introduiraient une fixation sur une partie de cette totalité fluide qui nous entoure.
Notre pouvoir est celui de nous diriger, au cœur même du mal, de la maladie et de la souffrance, vers le Bien pour nous harmoniser et donner un sens au monde. C’est un lent travail d’ajustement qui suppose une qualité d’écoute et une attention de tout l’être. La Paix engendrée en nous n’est pas une paix physique ou psychique, toujours plus ou moins dépendante d’un environnement favorable particulier. C’est une paix non dépendante, que rien ni personne ne peut nous enlever. C’est la Paix profonde !
L’avertissement de l’Enseigneur est toujours d’actualité. Aujourd’hui, comme au temps de Yeshoua, les messies ne manquent pas. Leurs promesses se vendent bien et ceux qui sont prêts à tout quitter pour les suivre pullulent. La désillusion est parfois grande et génère souvent la souffrance et dans certains cas la mort. Il ne s’agit pas toujours d’une personne, mais parfois d’une idéologie, d’un parti, d’un remède-miracle, d’une loi ou d’une décision ministérielle, qui doit tout remettre en ordre.
Il y a aussi les nombreuses apparitions de la Vierge qui mobilisent les foules. Le féminin refoulé de nos sociétés ne peut pas s’empêcher d’apparaître dans les milieux et les époques où on le refoule le plus. Les messages de ces apparitions sont pourtant clairs : ne pas s’y attacher mais se convertir, c’est-à-dire revenir à soi-même, retrouver l’art du don et de l’échange plutôt que celui de la production et de l’exploitation. Cela, nul ne peut le faire à notre place. Nous avons beau chercher au-dehors celui ou celle qui nous délivrera du fardeau de notre liberté, aller ici ou là ; si le message est authentique, il nous renverra à nous-mêmes.
Il est intéressant de noter que l’Enseignement des Évangiles, celui des apparitions et l’Évangile de Marie s’accordent sur ce point. Tant que notre paix dépend d’une réalité extérieure, ce n’est pas la Paix. Tant que notre compréhension de l’homme et du monde dépend d’une doctrine extérieure, ce n’est pas la Connaissance. Tant que notre amour des hommes et du monde dépend de leur affection et de leur attitude à notre égard, ce n’est pas l’Amour. Tant que notre vie dépend des circonstances et des contingences matérielles qui nous constituent, ce n’est pas la Vie. C’est encore notre homme extérieur qui, chaque jour, s’en va en ruine. C’est encore cet univers qui obéit aux lois de l’entropie et qui, de jour en jour, se dégrade.
À l’intérieur de nous, il est une Réalité, une Vie, une Connaissance, un Amour, une Paix non dépendants : un Fils de l’Homme, une Réalité née de l’humain et qui n’est pas seulement humaine, seulement mortelle, un Fils de l’Homme qui est aussi un Fils de Dieu. Cette Réalité, nous la sommes, et nous avons à la devenir.
Les enseignements de l’Évangile du Royaume constituent une voie de transformation qui permettra à l’homme, quel que soit son sexe, de développer toutes les qualités masculines et féminines, et ainsi de devenir complet et réaliser en lui l’Humain véritable, l’« Anthropos ».
Extrait de l’Évangile : [Page 9]
N’imposez aucune règle,
hormis celle dont je fus le Témoin.
N’ajoutez pas de lois à celles de celui qui a donné la Thora,
afin de ne pas en devenir les esclaves.
Ayant dit cela, Il partit.
Les disciples étaient dans la peine ;
ils versèrent bien des larmes, disant :
Comment se rendre chez les païens et annoncer
l’Évangile du Royaume du Fils de l’Homme ?
Ils ne l’ont pas épargné,
comment nous épargneraient-ils ?.
Alors, Marie se leva,
elle les embrassa tous et dit à ses frères :
Ne soyez pas dans la peine et le doute,
car sa Grâce vous accompagnera et vous protégera:
louons plutôt Sa grandeur,
car Il nous a préparés.
Il nous appelle à devenir pleinement Humains.
Par ces paroles, Marie tourna leurs cœurs vers le Bien ;
ils s’éclairèrent aux paroles de l’Enseigneur.
Commentaire :
La Loi n’est pas seulement une somme de préceptes et de commandements, c’est aussi une personne et un comportement. Le rôle de la Loi est de poser des limites qui n’enferment pas, qui ne clôturent pas ou ne “castrent” pas un être humain dans son devenir. Nous avons besoin à la fois de sécurité et de liberté pour évoluer. L’Évangile de Marie nous rappelle que la grande loi, c’est d’aimer. Aimer, c’est ne pas être esclave de la loi. C’est la dépasser en l’accomplissant.
La réaction des disciples au départ de l’Enseigneur montre que la Paix n’a pas été engendrée en eux, que ses Enseignements n’ont pas été intégrés. Ils ont peur d’annoncer l’Évangile aux païens et d’être persécutés comme Lui, leur Enseigneur, a été persécuté. C’est de cette peur que Yeshoua eût aimé les délivrer.
Alors que ses frères se courbent, Myriam de Magdala se dresse ; elle se lève, elle garde son allure de ressuscitée, elle qui l’a vu, Lui, leur Enseigneur debout parmi les morts. Elle demande aux disciples de se centrer en Dieu plutôt que sur leur petit moi perturbé, de devenir pleinement humains, de devenir des êtres complets en intégrant la polarité qui leur est complémentaire : le masculin chez la femme, le féminin chez l’homme.
Extrait de l’Évangile : [Page 10]
Pierre dit à Marie :
Sœur, nous savons que l’Enseigneur t’a aimée
différemment des autres femmes.
Dis-nous les paroles qu’il t’a dites,
dont tu te souviens
et dont nous n’avons pas la connaissance….
Marie leur dit :
Ce qui ne vous a pas été donné d’entendre,
je vais vous l’annoncer :
j’ai eu une vision de l’Enseigneur,
et je lui ai dit :
Seigneur, je Te vois aujourd’hui
dans cette apparition.
Il répondit :
Bienheureuse, toi qui ne te troubles pas à ma vue.
Là où est le noùs, là est le trésor.
Alors, je Lui dis :
Seigneur, dans l’Instant,
celui qui contemple
Ton apparition,
est-ce par la psyché [l’âme] qu’il voit ?
Ou par le Pneuma [l’Esprit, Souffle] ?
L’Enseigneur répondit :
Ni par la psyché ni par le Pneuma ;
mais le noùs étant entre les deux,
c’est lui qui voit et c’est lui qui […]
Commentaire :
Ayant été réconforté et consolé par elle et remis en confiance, Pierre demande à Myriam de lui révéler, à lui et aux autres disciples, les paroles que l’Enseigneur n’aurait dites qu’à elle. Il la place ainsi d’une certaine façon, au-dessus de lui et des apôtres et lui confie une primauté, liée à son intimité avec Yeshoua, avec la paix du Fils de l’Homme vivant en elle, qu’elle vient de manifester dans son attitude ; primauté qu’il ne lui reconnaîtra pas toujours. Myriam lui répond non par des paroles qu’elle aurait entendues, mais par une vision qu’elle a eue.
Ce passage de l’Écouter au Voir est un vieux débat. Que faut-il privilégier, l’Écoute ou la Vision ? Quel est l’organe privilégié de la Connaissance ? Si on en croit les textes attribués à l’apôtre Jean, il semblerait bien qu’on privilégie la vision. La polémique voulant faire prédominer un sens sur un autre cesse dès qu’on se rappelle qu’il ne s’agit pas de nos sens charnels, oeil ou oreille, mais de ce qu’on a pu appeler l’« œil du cœur » ou l’« oreille intérieure ».
Myriam n’est pas troublée par cette vision, ce qui indique que ses puissances émotives ou psychiques sont apaisées. Il la félicite d’abord de ne pas se troubler, de ne pas être désorientée face à ce genre de phénomène, d’être sortie pour ainsi dire de ces dualités « visible-invisible », « réalités matérielles et réalités spirituelles ». Elle garde avec lui la même intimité qu’ils avaient lorsqu’Il demeurait vivant dans l’espace-temps. N’étant plus dans cet espace-temps, Il n’en demeure pas moins vivant. Là est d’ailleurs le témoignage qu’elle aura à donner : « Là où est le noùs, là est le trésor ». […]