Par Jean Massengo ♦
Extrait de la revue Pantacle 2007.
« À un moment donné ou à un autre de notre vie, nous avons tous subi des offenses, avons été victimes de violence ou avons eu nos droits spoliés. À l’inverse, consciemment ou inconsciemment, nous nous sommes rendus parfois responsables des mêmes actes vis-à-vis d’autrui. Nous avons alors cherché, en vain, à oublier ou à regretter nos actes malveillants mais sans réellement y parvenir, soit parce que nous n’avons jamais éprouvé la nécessité de pardonner, soit parce que nous avons estimé que c’était plutôt à l’autre de le faire à notre égard. Nous pouvons nous souvenir à quel point cette attitude de notre part nous a contrariés, nous a parfois détruits physiquement, moralement, et peut-être même spirituellement.
Cependant, à d’autres occasions de notre vie, nous avons pris la résolution de « briser la glace » et d’aller à la rencontre de celui que nous avons offensé, pour lui demander pardon. Nous nous sommes alors rendu compte à quel point cette démarche nous a libérés, a ouvert de nouvelles perspectives pour nous, nous a rendus heureux. Par ailleurs, nous avons sûrement été témoins des merveilleux effets produits par la puissance du pardon dans la vie de nombreuses personnes de notre entourage, en opérant quasiment des miracles : brisant les cœurs les plus durs, rétablissant des foyers désunis depuis de nombreuses années et changeant les situations les plus désespérées, etc. Imaginons un seul instant l’impact que cela produirait si, au plan collectif, chaque être humain saisissait le plus souvent possible ce grand privilège de pardonner. Nous verrions les conflits ne plus perdurer et la paix s’installer progressivement sur Terre.
Mais dans ce domaine comme dans bien d’autres, il faut avoir une bonne compréhension et une bonne approche de l’esprit de pardon, car on pourrait dire qu’il y a pardon et pardon. Il y a des pardons en trompe-l’œil, qui s’apparentent plus à de l’hypocrisie et qui ne produisent aucun résultat probant. Il y a des vrais pardons qui viennent du plus profond de notre être et qui produisent de véritables miracles en nous et autour de nous.
C’est à cette compréhension de la valeur spirituelle et mystique du pardon que je vous convie, à la lumière de quelques passages de la Bible, ouvrage considéré par beaucoup de Chrétiens comme inspiré par Dieu et dont l’étude nous intéresse au plus haut point en tant que Martinistes, c’est-à-dire en tant qu’étudiants de la mystique judéo-chrétienne. Mais tout d’abord, qu’est-ce que le pardon ?
Qu’est-ce que le pardon ?
Le Petit Larousse définit le mot pardon par « rémission d’une faute, d’une offense », et le verbe pardonner par « renoncer à punir une faute, à se venger d’une offense, avoir de l’indulgence ». La Bible nous donne une variété de mots qui nous révèlent la portée du pardon. Nous pouvons ainsi répertorier cinq aspects différents du sens que peut revêtir le mot pardon. Le mot grec pour « pardonner » est apheimi, qui signifie éloigner de, faire disparaître, libérer (Évangile de Matthieu 6 : 12). Dans cet entendement, quand Dieu nous pardonne, Il fait disparaître nos fautes comme si elles n’avaient jamais existé. Nous retrouvons ce sens dans le psaume (103 : 12) suivant : « Autant l’orient est éloigné de l’occident, autant Il éloigne de nous nos transgressions. »
[…]Un autre mot qui est directement en rapport avec le pardon est celui de naître de nouveau, engendrer, régénérer. En effet, la nouvelle naissance est une autre expression biblique étroitement liée au pardon. Elle est spécialement employée dans l’Évangile de Jean et dans la Première Épître de Pierre. En parlant à Nicodème, Jésus dit :
En vérité, en vérité, si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le Royaume de Dieu (Évangile de Jean 3 : 3).
Devant la perplexité de Nicodème, Jésus souligne cet impératif :
Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit. Ne t’étonne pas que je t’aie dit : « Il faut naître de nouveau, naître de l’Esprit » (Évangile de Jean 3 : 6-7).
L’Évangile de Pierre (1 : 33) répète ces mêmes paroles aux premiers Chrétiens : « Vous avez été régénérés, non par une semence corruptible, mais par une semence incorruptible, par la Parole vivante et permanente de Dieu. » Dans Corinthiens (5 : 17), nous lisons ceci : « Quand Dieu pardonne, Il fait de nous une nouvelle créature ; les choses anciennes sont passées, toutes choses sont devenues nouvelles. »
Pardonner, c’est aussi réconcilier, c’est-à-dire rétablir de nouvelles relations entre l’homme et son prochain et/ou entre l’homme et Dieu. Cette expression est utilisée pour changer l’hostilité en amitié, comme cela se dégage dans Romains (5 : 10) : « Car si, lorsque nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son fils, à plus forte raison, étant réconciliés, serons nous sauvés par sa vie. » Il en est de même dans Corinthiens (5 : 18, 19) :
C’est l’homme, et non Dieu, qui avait besoin d’être réconcilié. Le péché n’a jamais atténué l’amour de Dieu ou changé cet amour en haine. Ce n’était pas Dieu qui avait besoin d’être apaisé, mais l’homme qui avait besoin de passer de l’état de rébellion à un état de repentance, afin de recevoir l’amour de Dieu.
Enfin, si nous appliquons au mot pardon les règles de la langue des oiseaux, pardon est formé de « par » et de « don », ce qui sous-entend « par don de Soi ». Le mot pardon prend alors ici le sens de compassion, c’est-à-dire le fait de se dédier entièrement aux autres et de prendre sur soi leur souffrance, au lieu de se chérir seulement soi-même. Dans cet entendement, c’est notre Moi supérieur qui accepte de donner un peu d’amour à celui qui nous a offensé. Et par ce « don de Soi », nous brisons les liens négatifs qui nous reliaient à cette personne. Nous libérons donc l’autre en même temps que nous nous libérons nous-mêmes.
[…]Comment pardonner ?
[…]Quand quelqu’un affirme qu’il a déjà pardonné à tel ami ou tel membre de sa famille, si on lui demande de quelle façon il l’a fait, généralement il répond : « Avec mon ami, nous avons abordé le problème qui nous opposait. Il m’a suggéré de pardonner et je l’ai fait. » Dans cette manière de pardonner, la personne n’a fait les choses qu’à moitié. On lui a suggéré de pardonner, elle a compris que c’était indispensable de le faire, quasiment sans conviction profonde. Elle l’a peut-être même fait verbalement seulement, même si cela a été fait en présence d’une tierce personne. Une personne qui invoque le pardon, la miséricorde ou la compassion, avec en plus une mentalité de victime, implore en fait la pitié. En règle générale, une telle personne recommencera tôt ou tard la même faute.
Il faut demander pardon lorsque notre conscience nous le demande pour le mal que nous avons fait à autrui, avant même toute sollicitation en direction du Dieu de notre cœur. En allant trouver l’autre pour demander pardon, faisons attention à notre attitude. Ne ressemblons pas à celui qui vient nous demander pardon, mais qui nous laisse l’impression que c’est plutôt nous seuls qui sommes en faute, mais pas lui. Il est également important de chercher à comprendre les raisons qui nous ont motivés à poser certains actes négatifs, car en général, il y a toujours une raison ou plusieurs raisons à cela. Si nous les connaissons, cela peut nous amener à agir ultérieurement de manière différente à l’égard de notre prochain. Nous pouvons alors pardonner réellement et oublier ensuite, car pour pardonner vraiment, il faut apprendre à oublier.
À ce sujet et dans un tout autre domaine, lorsqu’on demanda à un champion olympique quel était le secret de son succès, il répondit :
Le seul moyen de gagner une course est d’oublier vos précédentes victoires qui vous rendraient orgueilleux et vos précédentes défaites qui vous rempliraient de crainte. Chaque course est un nouveau départ.
Il est parfois paradoxal de constater que, très souvent, nous avons la fâcheuse habitude de nous rappeler ce qu’il faudrait oublier et d’oublier ce que nous devrions retenir. Ainsi, lorsque quelqu’un nous a fait du mal, nous disons souvent à tort : « Je n’oublierai jamais ce qu’il m’a fait ! » Nous ruminons cela à longueur de journée et le mal, au lieu d’être expurgé, s’incruste et s’aggrave. Cette attitude est contraire à la recherche du pardon, car l’oubli est une condition essentielle pour la réalisation d’un pardon sincère. Mais oublier un mal que nous avons subi ou que nous avons causé à autrui n’est pas « avoir un blanc » dans la mémoire, une sorte d’amnésie qui efface notre passé. Une expérience douloureuse que nous avons vécue et que nous avons réellement pardonnée, même si elle nous revient en mémoire, ne nous fera plus mal. Nous ne la vivons plus avec la même intensité émotionnelle initiale, puisque nous avons tiré la leçon qu’elle comportait et le pardon lui en a ôté l’aiguillon. Dans ces conditions, nous pouvons nous souvenir du mal que nous avons subi, mais sans ressentir de l’amertume ou de la rancune. Le pardon sincère nous a, en quelque sorte, libérés de notre passé !
Souvent, pour qu’il en soit ainsi, il faut que la situation à l’origine de notre pardon ne se renouvelle plus ; ce qui serait une nouvelle source de ressentiment. En quand bien même cela se reproduisait, une injonction du Christ rapportée par l’Évangile de Matthieu (18 : 21-22) nous exhorte à toujours pardonner :
Alors Pierre s’approcha de lui, et dit :
Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère, lorsqu’il péchera contre moi ? Sera-ce jusqu’à sept fois ?
Jésus lui dit :
Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois.
Cela signifie donc que notre pardon doit être constant et illimité. S’il en est ainsi, c’est parce que le pardon est la clé de nos relations avec notre prochain, même dans les situations les plus tragiques et les circonstances les plus douloureuses. Sans cela, toute communication ou communion deviennent impossibles. Seul le pardon rétablira, transformera et améliorera nos relations. Pensons aux paroles que Jésus-Christ prononça sur la croix, au plus fort de sa passion, alors qu’il était crucifié : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » »[…]