Par Louis-Claude de Saint-Martin ♦
Extrait de Ecce Homo, édition diffusion rosicrucienne, 2012, extrait des chapitres II, III, IV, V.
[…] « Pour les peindre, ces suites désastreuses de notre dégradation, il faut regarder l’état glorieux dont nous avons joui comme un trésor dont nous aurions eu tous en commun et la garde et la distribution ; il faut reconnaître que nous aurions partagé solidairement la gloire et les récompenses de cette magnifique manifestation, puisque nous aurions partagé solidairement tous les travaux de ce grand œuvre.
Mais puisque nous ne pouvons imputer à la suprême sagesse d’avoir conspiré en rien avec nous dans l’abus de ces sublimes privilèges, nous sommes forcés d’en attribuer tous les torts à la puissance libre de notre être, laquelle étant fragile par sa nature – sans quoi il y aurait eu deux Dieux -, s’est livrée à sa propre illusion et s’est précipitée dans l’abîme par sa propre faute ; vérités assez solidement établies dans des ouvrages antérieurs pour n’avoir pas besoin d’être traitées ici de nouveau.
Dès lors, les principes de la saine justice, impérissables comme notre essence et qui, comme cette essence, nous resteront éternellement, quoique nous nous égarions si souvent dans leur application, nous apprennent clairement ce que nous sommes devenus par notre crime et nous montrent, sans que nous puissions nous y méprendre, l’espèce de satisfaction que cette justice exige de nous, et c’est ici que le titre de cet ouvrage, ou le sens de ces deux mots, ecce homo, va commencer à se découvrir.
Si nous fussions restés fidèles à notre sainte destination, nous aurions dû manifester tous en commun, et chacun selon notre don, la gloire de notre éternel principe. Mais ne pouvant plus douter que nous ayons manqué de remplir cette loi suprême, puisque nous languissons tous et que l’auteur de cette justice ne pourrait nous laisser injustement en souffrance et en privation, il résulte que l’abus de nos glorieux privilèges a dû nous réduire à la cruelle nécessité de ne plus offrir qu’une manifestation opposée à celle qui était attendue de nous, et qu’au lieu d’être les témoins de la gloire et de la vérité, nous ne pouvons plus être que les témoins de l’opprobre et du mensonge.
Il résulte en outre que toute la famille humaine partageant aujourd’hui cette punition, comme elle eût partagé les récompenses, chaque individu devrait offrir un signe particulier de cet avilissement, comme il eût offert un signe particulier de puissance dans l’ordre triomphal, chacun selon le don qui lui eût été propre ; il résulte, dis-je, que chaque individu de cette grande famille devrait offrir un signe particulier de cette disette et de cette privation à laquelle la justice suprême nous a tous soumis dans ce bas monde ; et cela afin qu’à la vue de ce signe si différent de celui que nous aurions dû porter, on pût dire de nous avec insulte et dérision : ecce homo, voilà l’homme ; et que ce titre aujourd’hui si insultant pour nous nous couvrît d’opprobre et d’humiliation, en décelant les fruits amers que le crime a semés en nous, au lieu de la gloire dont nous aurions brillé si notre nom eut conservé son vrai caractère.
[…]Nous aurions voulu autrefois passer aux yeux de toutes les régions pour le Dieu suprême. N’ayant pas pu y réussir, nous n’avons pas pour cela renoncé entièrement à notre entreprise, et nous tâchons au moins d’obtenir ce nom sacré dans l’opinion de nos semblables, et de leur faire assez d’impression par notre supériorité pour qu’ils en soient frappés en nous regardant, et pour qu’ils flattent nos oreilles de ce doux nom, ecce Deus, voilà le Dieu, au lieu de ce terrible ecce homo, qui nous rendrait furieux en nous couvrant d’ignominie. Nous sommes comme autant d’êtres mutilés dans tous nos membres, et qui néanmoins prétendons encore à la beauté et à passer pour réguliers en masquant nos difformités par toutes sortes de membres artificiels, n’importe de quelle vile et fragile substance ces membres artificiels sont composés.
[…]Les grâces supérieures, envoyées directement par la sagesse à quelques mortels, avaient un double avantage, celui d’apprendre à ces mêmes mortels combien étaient doux et magnifiques ces trésors dont nous avons joui, et combien est ignominieux le néant dans lequel nous avons eu l’imprudence de nous plonger ; et c’est dans cet esprit que les hommes privilégiés répandaient ensuite leurs instructions sur les autres hommes.
Les œuvres enfantées ou infectées par les ténèbres ont un but opposé, celui de persuader à l’homme qu’il jouit encore de tous ses droits et de lui dérober la vue de ce dénuement spirituel, qui est le véritable signe caractéristique auquel est attaché le nom d’ecce homo, dénuement dont la connaissance intime et parfaite est, comme nous l’avons dit ci-dessus, la première condition indispensable pour commencer notre réconciliation.
[…]Ce fleuve de l’amour divin, dans lequel nous avons puisé la naissance, ne peut jamais cesser de couler pour nous régénérer en lui ; de même qu’ici-bas, le cœur de l’homme de bien ne se tarit point pour ses frères, malgré toutes les injustices, et, serait toujours prêt à souffrir pour eux s’il pouvait, à ce prix, leur rendre le goût de la vertu, de même le fleuve éternel de la vie ne s’est point tari lors de notre crime, il s’est seulement réduit et rétréci en nous condamnant à ne manger qu’à la sueur de notre front le pain de vie que nous aurions dû manger non sans travail, mais sans fatigue.
Ce fleuve s’est accru progressivement par les diverses alliances qu’il a faites avec l’homme en différents temps ; enfin, il a repris toute son étendue en venant remplir pour nous la loi de notre condamnation que nous refusions de remplir nous-mêmes, et lorsque, transformant de nouveau toutes ses puissances en notre nature d’homme, il s’est laissé couvrir par les puissances terrestres de tous les signes de dérision, et que, couronné d’épines, meurtri de coups, souillé de crachats, abandonné de tous, il a souffert qu’on le montrât publiquement armé d’un roseau pour sceptre, et que l’on dît de lui aux yeux des nations de la terre : Ecce homo, voilà l’homme, voilà l’état où il a été réduit par le crime primitif et par toutes ses prévarications secondaires. »
[…]