Par Christian Bernard ♦
Extrait de Réflexions rosicruciennes, éditions DRC.
« Beaucoup ont tendance à penser que la voie martiniste est limitée aux valeurs traditionnelles du Christianisme primitif. Cette manière de voir les choses n’est pas fausse, mais elle est très incomplète, car l’essence du Martinisme en fait une tradition qui associe la gnose chrétienne à la mystique juive. Il me semble donc nécessaire de revenir sur certaines notions qui montrent, aussi bien sur le plan historique que mystique, que l’Ordre Martiniste Traditionnel est un mouvement judéo-chrétien, dans le sens le plus noble de cette expression.
D’un point de vue historique, il importe de bien comprendre que les événements sociopolitiques qui ont rendu possible l’apparition du Christianisme sont liés aux valeurs culturelles et morales préétablies par le Judaïsme. Ce n’est pas un hasard si c’est la même terre, Israël, qui a été le berceau de ces deux grandes religions. De nos jours encore, Jérusalem reste la seule ville du monde où les Juifs comme les Chrétiens peuvent revendiquer les mêmes droits pour justifier les liens profonds qui les unissent à cette cité. La même chose peut d’ailleurs s’appliquer à l’Islam, car Jérusalem est également un lieu très sacré dans le cœur des Musulmans.
D’un point de vue mystique, l’avènement de l’ère chrétienne ne pouvait se faire qu’en Israël, car, à cette époque, ce pays était le seul à réunir les conditions humaines qui rendaient possible un tel événement. Il n’est donc pas étonnant que ce même pays ait donné naissance à deux des plus grands avatars que l’humanité ait connus, je veux naturellement parler de Moïse et de Jésus. Du premier, les textes sacrés nous disent qu’il a reçu la Loi, l’âme de la Loi, et l’âme de l’âme de la Loi. Le second a prêché la Vie, la Voie et la Vérité. Dès lors, comment ne pas comprendre que ces deux missionnés sont venus rendre témoignage à la même Lumière, et à la gloire du même Dieu.
Lorsque l’on se réfère à l’historique de leur vie, telle qu’elle est rapportée dans les ouvrages classiques, on constate que la plupart des spécialistes faisant autorité établissent un lien très étroit entre ces deux êtres d’exception. Pour eux, l’un et l’autre ont été les fondateurs de deux systèmes éthiques qui dépassent de très loin la seule dimension religieuse. En fait, Moïse est présenté de plus en plus officiellement comme le fondateur de la nation israélienne, et Jésus comme un philosophe venu renforcer et généraliser les codes moraux et civiques établis par son prédécesseur. J’insiste sur le fait que ce n’est pas vraiment l’histoire qui cherche à opposer le message christique à la pensée mosaïque, mais que ce sont les religions qui ont été fondées à partir de leur interprétation. Nul n’ignore en effet l’abîme qui s’est creusé au cours des siècles entre les autorités juives et catholiques. Les choses étant ce qu’elles sont de nos jours, et ce pour des raisons que je n’ai pas à développer, la majorité des Juifs pratiquants ont choisi de ne voir en Jésus qu’un prophète parmi tant d’autres, alors que les Chrétiens, de leur côté, semblent avoir oublié que l’Ancien Testament ne se limite pas à la Genèse. Ceci étant dit, lorsque l’on se réfère aux ouvrages que nous ont laissés ceux qui ont approfondi le mysticisme de ces deux religions, on remarque le lien ésotérique qui est établi entre le Judaïsme et le Christianisme. À la vérité, aucun mystique ne peut nier l’évidence de ce lien et, s’il le fait, il ne peut espérer aller bien loin dans sa quête spirituelle.
D’un point de vue aussi bien historique que mystique, il n’existe donc pas un Ancien et un Nouveau Testament, mais un seul et même Testament portant sur deux époques qui ne s’opposent pas mais qui, bien au contraire, se complètent sur tous les plans. En ce sens, je vous conseille de lire ou de relire la Bible en partant du principe qu’elle se compose de deux livres dont le deuxième éclaire le sens du premier, et dont le premier sert de base au deuxième. Pour établir un parallèle avec le Martinisme, leur complémentarité est à l’image de celle qui unit le « Livre de la Nature » au « Livre de l’Homme », si chers aux Martinistes. Si l’Ancien et le Nouveau Testament ont été scellés par les hommes au point de ne former qu’un seul ouvrage, c’est de toute évidence parce qu’il devait en être ainsi. Le premier rapporte la manière d’appliquer les commandements de Dieu pour établir sur Terre un royaume régi en son nom et à sa gloire. Le second relate ce qu’il faut faire sur le plan individuel pour construire la contrepartie céleste de ce royaume terrestre.
Nous voyons donc que les deux grands livres de la Bible forment une dualité dans l’expression du Verbe divin. Cette dualité devient évidente si l’on prend le temps de se souvenir que Moïse avait lui-même annoncé la venue de Jésus et que Jésus, à plusieurs reprises, a déclaré qu’il n’était pas venu pour abolir la loi des prophètes, mais pour l’accomplir. Il apparaît donc clairement que Jésus est au Nouveau Testament ce que Moïse est à l’Ancien. L’un et l’autre étaient des missionnés de la Grande Fraternité Blanche et tous deux, à partir des connaissances acquises dans les écoles de mystères de l’Ancienne Égypte, établirent les fondements de deux sentiers de réintégration, le premier sur un plan collectif, et le second sur un plan individuel. Ainsi, la mission de Moïse consista à présenter aux hommes la descente symbolique du « Je suis », et celle de Jésus à montrer la voie à suivre pour que chacun d’eux remonte dans le Royaume du Père, à l’image de l’enfant prodigue.
Certains textes rapportent que Moïse fut membre d’une communauté essénienne qui s’était établie sur le Mont Sinaï, et que c’est dans le temple de cette communauté que lui fut révélée la Loi. Ces mêmes textes ajoutent qu’au moment de la destruction du Temple de Salomon, en 587 avant l’ère chrétienne, l’Arche d’Alliance fut confiée aux Esséniens du Sinaï, alors que les objets sacrés du Temple furent remis aux membres d’une fraternité essénienne qui vivait à la même époque sur les bords de la Mer Morte. Les Esséniens de la Mer Morte, toujours d’après ces textes, donnèrent le nom de « Communauté de la Nouvelle Alliance » à leur fraternité, car ils savaient que le Maître Jésus serait l’un des leurs quelques siècles plus tard et qu’il aurait pour mission d’opérer la transition entre le cycle de l’Ancien testament et celui du Nouveau.
Il est difficile d’établir l’authenticité de ces affirmations, mais en revanche, des archives traditionnelles confirment que ces deux Grands Initiés étaient Esséniens. Certains historiens, dans leur analyse récente des manuscrits de Qumran, ont établi de nombreuses similitudes avec les préceptes mosaïques. La philosophie de base semble commune, car l’on retrouve les mêmes références aux oppositions de la vie, telles qu’elles sont symbolisées dans l’Arbre kabbalistique, notamment dans ce que les Esséniens ont décrit à propos du combat des Fils de la Lumière contre les Fils des Ténèbres. Ainsi, tout concorde pour dire que les traditions juive et chrétienne sont intimement liées, ne serait-ce que par le fait qu’elles se rejoignent dans l’antique sagesse de la pensée essénienne, laquelle se perd elle-même dans la Tradition primordiale. Il semble donc évident que deux courants mystiques aussi proches ne peuvent être opposés, et que ceux qui laissent entendre le contraire le font par ignorance ou dans un désir délibéré de nuire à la vérité.
L’Ordre Martiniste Traditionnel a toujours basé ses enseignements sur l’ésotérisme de la Bible, et par conséquent, sur l’ésotérisme de l’Ancien et du Nouveau Testament. Il est donc un Ordre mystique judéo-chrétien, dans le sens le plus traditionnel que l’on peut donner à ce qualificatif. Pour illustrer mes propos, il suffirait de passer en revue certains des symboles utilisés lors des rituels martinistes, mais je me garderai bien de le faire dans le présent ouvrage. Les Martinistes comprendront à quoi je me réfère et si vous, qui lisez ces lignes, souhaitez en connaître davantage, je vous invite à rejoindre cet Ordre. Sachez seulement que parmi les symboles utilisés dans ces travaux, il y en a beaucoup qui sont là pour nous rappeler constamment que les mysticismes juif et chrétien constituent les deux piliers d’un même Temple traditionnel.
En dehors des symboles, les phrases prononcées dans les rituels martinistes sont également un rappel constant à l’essence judéo-chrétienne du Martinisme. C’est ainsi que Dieu y est nommé le « Grand Architecte de l’Univers », auquel se référaient les Kabbalistes. Parallèlement à cette référence au Dieu éternel de l’Ancien Testament, les Martinistes se réfèrent également au Christ cosmique Ieschouah, C’est-à-dire à une Force divine dont Jésus a été l’incarnation terrestre. Nous pouvons également faire appel aux nombres pour démontrer que le martinisme véhicule aussi bien le mysticisme juif que le mysticisme chrétien. Vous savez certainement que le nombre 7 est celui de l’Ancien Testament, et le nombre 8 celui du Nouveau Testament. Or, ces deux nombres sont très présents dans la symbolique martiniste.
Le premier devoir d’un Martiniste est d’appliquer dans ses pensées, ses paroles et ses actions, les vertus qu’ont manifestées tous les Maîtres qui ont marqué l’évolution morale, culturelle et spirituelle de l’humanité. Un autre devoir est de contribuer à l’avènement d’une religion universelle. Une telle religion ne pourra voir le jour que si les hommes arrivent à comprendre que toutes les grandes religions actuelles sont issues d’une Tradition unique. Dans ce texte, je me suis arrêté sur le lien évident qui unit le Judaïsme et le Christianisme, mais j’aurais pu mener cette étude comparative entre d’autres courants religieux, et faire le constat de la même unité ésotérique. Il est important, chaque fois que l’occasion se présente à nous, de démontrer que c’est l’ignorance des hommes qui oppose les religions entre elles, et qu’un bouddhiste, un musulman, un juif ou un chrétien, s’il applique vraiment l’esprit de son credo, ne peut voir en Bouddha, Mahomet, Moïse et Jésus que des incarnations différentes, pour des peuples différents, à des époques différentes, d’un seul et même Verbe divin. »