Par Pascal Milsonneau ♦
La douce nuit, la sainte nuit, de nouveau s’approche… Les Martinistes y sont sensibles puisqu’ils positionnent délibérément dans leur calendrier la fête de Ieschouah le jour le plus proche de la nuit de Noël. La fête religieuse de Noël est également concomitante avec le solstice d’hiver.
Le jour du solstice d’hiver est, comme vous le savez, la journée la plus courte, par conséquent la moins lumineuse du cycle annuel. En l’absence de lumière solaire, c’est une lapalissade que d’affirmer que cette journée est logiquement la plus ténébreuse. Étrange réflexe des hommes qui, pendant cette période, s’affairent pour contrecarrer ce manque de lumière par l’utilisation de guirlandes lumineuses, de bougies, de boules et autres objets de décoration dorés, argentés, multicolores, mais brillants avant tout.
Les mystiques d’aujourd’hui doivent-ils céder à la crainte ancestrale des hommes qui avaient peur que le soleil ne s’éteigne ? Non ! Bien au contraire, ils ont depuis longtemps discerné, par l’observation des lois naturelles durant cette période, un espace temporel propice à la méditation, à la régénération intérieure. Ces philosophes de la nature que nous nommerons « alchimistes » au sens générique du terme, qu’ils soient des étudiants spéculatifs, des Martinistes cheminant ou de véritables opératifs travaillant aux fourneaux, auront plaisir à entendre ou réentendre le Maître au sujet de la noirceur féconde.
Voyons, dites-nous, vous qui avez déjà tant labouré, que prétendez-vous faire auprès de vos fourneaux allumés, de vos ustensiles nombreux, variés et inutiles ? Espérez-vous accomplir de toutes pièces une véritable création ? Non, certes, puisque la faculté de créer n’appartient qu’à Dieu, l’unique Créateur. C’est donc une génération que vous désirez provoquer au sein de vos matériaux. Mais il vous faut dans ce cas l’aide de la nature, et vous pouvez croire que cette aide vous sera refusée si, par malheur ou par ignorance, vous ne mettez pas la nature en état d’appliquer ses lois. Quelle est donc la condition primordiale, essentielle, pour qu’une génération quelconque puisse être manifestée ? Nous répondrons pour vous : l’absence totale de toute lumière solaire, même diffuse ou tamisée. Regardez autour de vous, interrogez votre propre nature. Ne voyez-vous pas que, chez l’homme et les animaux, la fécondation et la génération s’opèrent, grâce à une certaine disposition des organes, dans une obscurité complète, maintenue jusqu’au jour de la naissance ? Est-ce à la surface du sol que les graines végétales peuvent germer et se reproduire ? Est-ce le jour ou la nuit que tombe la rosée fécondante qui les alimente et les vitalise ? Voyez les champignons ; n’est-ce pas la nuit qu’ils naissent, croissent et se développent ? Et vous-mêmes, n’est-ce point aussi la nuit, dans le sommeil nocturne, que votre organisme répare ses pertes, élimine ses déchets, reforme de nouvelles cellules, de nouveaux tissus en lieu et place de ceux que la lumière du jour a brûlés, usés et détruits ?
Il est important de retenir que le soleil est destructeur par excellence de toutes les substances trop jeunes, trop faibles pour résister à son pouvoir igné. Les jeunes et tendres pousses ne s’abritent-elles pas à l’ombre des grands arbres ?
Et le Maître de renchérir :
Et maintenant travaillez de jour si bon vous semble ; mais ne nous accusez pas si vos efforts n’aboutissent jamais qu’à l’insuccès. Nous savons, quant à nous, que la déesse Isis est la Mère de toutes choses qu’elle porte en son sein, et qu’elle seule est la dispensatrice de la Révélation et de l’Initiation. (Ici, c’est la déesse Isis qui est nommée, mais la symbolique est universelle et il est possible de substituer la Vierge à Isis. Elle représente, dans les deux cas, la Mère du monde). Profanes qui avez des yeux pour ne point voir et des oreilles pour ne point entendre, à qui adresserez-vous donc vos prières ? Ignorez-vous que l’on ne parvient à Jésus que par l’intercession de sa Mère ? Pour votre instruction, la Vierge est figurée (dans la symbolique religieuse et alchimique) les pieds posés sur le croissant lunaire, toujours vêtue de bleu, couleur de l’astre des nuits. Nous pourrions dire beaucoup plus, mais nous estimons avoir assez parlé.
Nous pourrions à loisir, et par pur plaisir, continuer notre lecture des enseignements du Maître, mais après cet extrait, chacun aura compris que la nature nous offre ses reflets afin de nous enseigner sur notre terre intérieure. Le Martiniste, qui peut s’assimiler symboliquement à un laboureur du ciel préparant son terreau, sait en effet que, dans ces moments-là, il ne peut s’accomplir qu’en se repliant sur lui-même, en se purifiant par la prière, en « s’auto-compostant », et que cela ne peut s’accomplir en plein jour. Le résultat de cette « auto-putréfaction », ce chaos interne mais nécessaire, favorisera la germination de notre vivifiante racine, si chère à Saint-Martin. Pour notre vénéré Maître, il faut donc s’employer à cette tâche car cette purification est une véritable gestation spirituelle.
Tout homme est né d’une mère. Pour nous régénérer, il faut donc que nous épousions la Vierge qui est en nous, ou la Sophia selon Jacob Boehme. Quand la terre est enfin prête, la deuxième phase de la voie martiniste, selon nos enseignements, est la naissance du nouvel homme, appelée également “naissance de l’enfant-Roi” par l’aide du Réparateur, Jésus le Christ.
Louis-Claude de Saint-Martin qui, visiblement, a vécu cette maturation intérieure, puis cette naissance, nous dit :
Si l’homme a le bonheur de voir naître en lui le fils de l’esprit ou le nouvel homme, il aperçoit bientôt la différence de ce nouvel état pour lui à son état antérieur ; et cette différence consiste en ce que, dans ce nouvel état, il est sûr, par ses efforts et la persévérance dans sa prière, d’obtenir les fruits de ses désirs purs, soit des lumières et des développements, soit des consolations, soit des dons de l’esprit pour la manifestation de la gloire de son maître, toutes choses que nous pouvons maintenant regarder comme autant de révélations. Mais dans son état antérieur, il n’avait pas la même certitude, et malgré toutes ses entreprises les plus courageuses, il ne pouvait se flatter du même succès, et les espèces de révélations dont il était susceptible alors lui parvenaient d’une manière voilée, plus figurative, et le laissaient souvent comme dans l’attente des biens qu’on ne faisait que lui montrer.
Tout ce développement sur la nécessité de l’obscurité pour permettre la génération du nouvel homme en chacun de nous va, je l’espère, prendre une dimension nouvelle à la lecture de cet extrait de l’Évangile de saint Matthieu, traduit de l’hébreu en latin par saint Jérôme :
Et comme il avait dit ces paroles, l’ange ordonna à la jument de s’arrêter, parce que le temps était venu d’enfanter ; et il recommanda à Marie de descendre de l’animal et d’entrer dans une grotte souterraine, dans laquelle la lumière ne fut jamais, mais toujours les ténèbres, parce qu’il n’y avait pas de lumière du jour à l’intérieur. Mais à l’entrée de Marie, toute la caverne commença à prendre la splendeur, et comme si le soleil s’y trouvait à montrer l’éclat de sa lumière, et comme si, en ce lieu, régnait la sixième heure du jour ; ainsi la clarté divine illumina la grotte ; ni de jour, ni de nuit, la lumière de Dieu n’y manqua, pendant que Marie y fut… Mais une étoile extraordinaire brillait au-dessus de la caverne, du soir jusqu’au matin, dont la grandeur jamais n’avait été vue depuis l’origine du monde.
À tous, je vous souhaite de vivre, lors de la prochaine nuit de Noël, un de ces instants féconds hors du temps… sous le ciel étoilé. Puisse votre bonne étoile vous conduire jusqu’à la caverne !