Par Louis-Claude de Saint-Martin ♦
Extrait de : De l’esprit des choses, t. 2.
Radicalement l’homme n’est qu’un désir de Dieu, et en effet tout notre être ne devrait consister que dans le sentiment universel et permanent des divers désirs de Dieu, correspondants aux diverses facultés qui nous constituent.
Sous ce rapport, nous ne saurions nous considérer sans voir en nous l’être le plus respectable que nous pussions envisager : car, qu’y a-t-il de plus respectable que le désir de Dieu ? En outre, nous ne pouvons, sans blesser étrangement les premières lois de la justice, être sourds ou infidèles, ou contraires à ce désir de Dieu, attendu que ce désir est ce qui constitue réellement Sa propriété : or, quel droit aurions-nous de violer la propriété d’un être, puisqu’elle n’est pas la nôtre ?
Au contraire, nous sommes faits pour correspondre activement avec ce désir universel de Dieu, et c’est là où se développe la grande dignité de notre être : car c’est une vérité fondamentale que chaque désir porte avec lui son industrie ou sa sagesse. Or, si notre être participe au désir de Dieu, nous devons donc aussi participer à l’industrie de ce Dieu ou à Sa sagesse. En effet, il semble que les choses universelles n’aient que deux colonnes ; que Dieu soit la première, et nous la seconde.
Dieu pense éternellement ; Il veut que nous pensions éternellement avec Lui pour que l’équilibre se maintienne.
Dieu aime et pénètre éternellement dans l’éternelle sagesse, qui est le véritable esprit des choses, qui en est la mesure et l’active régularité ; Il veut que nous aimions et que nous pénétrions éternellement dans cette sagesse, comme Lui, pour que nous arrivions à connaître Son vrai désir et à le propager.
Dieu aime à réaliser éternellement les fruits de Son esprit et de Sa sagesse, il veut que nous réalisions éternellement, comme Lui, les fruits de l’esprit et de la sagesse que nous découvrons par notre désir, afin que nous ayons le témoignage permanent de la vertu de cette sagesse et de ce désir que nous pouvons atteindre.
Si nous n’arrivons pas là, si nous laissons faiblir notre pensée, notre amour, notre action, nous mourons en nous, parce que, à l’image de Dieu, nous avons le pouvoir de vivre par nous-mêmes, en nous portant continuellement dans la vie et que nul autre que nous ne peut changer, sur cela, notre loi qui nous appelle à un emploi si sublime et si actif.
Il faut donc en quelque façon que nous commercions par notre acte avec l’acte divin. Si nous interrompons notre acte, Il n’interrompt pas le Sien pour cela, puisqu’Il procède toujours et alors par Sa puissance toujours procédante, Il efface nos facultés et les annule parmi les choses vivantes.
L’univers n’atteint point à ce privilège, parce qu’il n’a ni pensée ni désir ni volonté. C’est un être de violence et de circonstance ; aussi l’acte divin le surpasse toujours, et à force de le froisser par son action éternellement procédante, il finira par l’effacer et l’annuler tout à fait, et ceux qui croient à l’éternité de la matière, n’ont pas la vraie notion des principes.
Je veux néanmoins garantir ici l’esprit du faible et du timide, qui pourrait s’effrayer de la hauteur où je parais élever l’homme. Si j’ai prétendu que l’homme pouvait trouver la clef de son être et de toutes les vérités qui le concernent, sans recourir aux hommes, sans les traditions, sans les livres et même se démontrer son Dieu, bien plus sûrement que par la nature et les enseignements des docteurs, je n’en conviendrai pas moins, avec une véritable satisfaction, que la raison seule ne peut guère nous mener qu’à l’erreur.
Je la regarde bien comme le vrai fanal que Dieu nous accorde pour traverser cette région ténébreuse ; mais s’il n’y avait que ce flambeau et nous et personne que nous pour le porter, qu’en pourrions-nous attendre ? À la vérité, nous pourrions bien marcher et parcourir beaucoup de pays ; mais nous ne saurions pas pour cela ni la route que nous tenons ni dans quels lieux nous sommes ni dans quels lieux notre route nous fera arriver.
Aussi, en reconnaissant les avantages du présent que Dieu nous a fait en nous accordant ce fanal, je reconnais qu’Il nous a accordé une faveur bien plus grande encore ; c’est celle de S’être réservé le droit de le porter devant nous, afin que nous ne perdions point de vue la source d’où nous le tenons et que tous nos pas soient pleins d’assurance, lorsque nous aurons mis en valeur tous nos privilèges qui ne nous autorisent à rien moins qu’à obtenir Dieu même pour guide.
Car si Dieu nous mettait un instant ce flambeau dans les mains, non seulement nous ne connaîtrions pas mieux notre chemin pour cela ; mais, en outre, nous nous brûlerions et nous laisserions bientôt tomber le flambeau par terre. […]