Attribué à Rabbi Shimon Bar Yochaï ♦
Extrait du Zohar I, 2b-3b, d’après la traduction de Jean de Pauly (1906).
Il est écrit : « Au commencement ». Rab Hammenouna, le Vieillard, dit : Nous trouvons au commencement de la Genèse un renversement d’ordre des lettres initiales. Ainsi les deux premiers mots de la Genèse ont pour initiales la lettre Beth (ב) : Bereschith (= au commencement), Bara (= créa), et les deux mots suivants ont pour initiales la lettre Aleph (א) : Élohim (= Dieu), Eth (= Le). Voici la raison de cette interversion : Déjà, deux mille ans avant la création du monde, les lettres étaient cachées, et le Saint, béni soit-il, les contemplait et en faisait ses délices. Lorsqu’il voulut créer le monde, toutes les lettres, mais dans l’ordre renversé, vinrent se présenter devant lui.
– Ce fut la lettre Thav (ת) qui se présenta la première.
Maître des mondes, dit-elle, qu’il te plaise de te servir de moi pour opérer la création du monde, attendu que je forme la lettre finale du mot Émeth (= Vérité) gravé sur ton sceau ; et, comme toi-même tu es appelé Émeth, il convient au Roi de commencer par la lettre finale du mot Émeth et de s’en servir pour opérer la création du monde.
Le Saint, béni soit-il, lui répondit :
Tu es, en effet, digne ; mais il ne convient pas que je me serve de toi pour opérer la création du monde, parce que tu es destinée à être marquée sur le front des hommes fidèles qui ont observé la loi depuis l’Aleph jusqu’au Thav, et à être ainsi mêlée à la mort, et aussi parce que tu formes la lettre finale du mot Maveth (= Mort). Pour ces raisons, il ne me convient pas de me servir de toi pour opérer la création du monde.
La lettre Thav sortit immédiatement.
– La lettre Schin (ש) entra alors, et, après avoir formulé la même demande, elle fit valoir l’initiale du nom divin Schadaï, qui est un Schin ; « il convient, dit-elle, que l’on se serve de l’initiale du nom sacré Schadaï, pour opérer la création du monde ».
Dieu lui répondit :
En effet, tu es digne, tu es bonne et tu es vraie. Mais des faussaires se serviront de toi pour affirmer leurs mensonges, en t’associant les deux lettres Qoph (ק) et Resch (ר) pour former ainsi le mot Schéqer (= Mensonge). De ces paroles, il résulte que pour faire accepter leurs mensonges, les menteurs sont obligés d’y mêler aussi un principe de vrai. C’est pourquoi le mot Schéqer (= Mensonge) est l’anagramme du mot Qéscher (= Noeud, Faisceau), parce que, pour faire accepter les mensonges, le menteur est obligé de commencer par dire une vérité (Sch), à laquelle il ajoute ensuite le mensonge (Q et R) de façon à lier ces deux ensemble. Aussi, bien que tu sois vraie, ô lettre Schin, puisque les trois patriarches seront réunis en toi, il ne convient pas de me servir de toi pour opérer la création du monde, parce que tu seras souvent associée aux deux lettres Q et R qui sont du mauvais côté, du côté du démon.
Quand la lettre Schin eut entendu ces paroles, elle sortit. Ce que voyant, les lettres Q et R ( ר et ק) n’osèrent pas se présenter.
– La lettre Çaddi (צ) entra ensuite et formula la même demande, en se réclamant du fait que le mot juste (Çaddiqim) appliqué aux hommes et à Dieu commence par la lettre Çaddi, ainsi qu’il est écrit : « Car le Seigneur est juste (Çaddiq) et il aime la justice (Çedaqoth). »
Dieu lui répondit :
En effet, tu es juste, ô lettre Çaddi ; mais il ne me convient pas de me servir de toi pour opérer la création du monde, attendu que tu dois être cachée pour ne pas donner prise à l’erreur. Car ta forme primitive est un Noun (נ) oblique, principe femelle, sur lequel vient s’ajouter un Yod (י), principe mâle. Et tel est le mystère de la création du premier homme, qui fut créé à double face, deux figures tournées en sens inverse, dos contre dos ; et c’est pourquoi le Yod est présenté de dos, non de face, soit qu’il regarde en haut, soit qu’il regarde en bas. Toi aussi, dit Dieu à Çaddi, tu seras un jour divisée en deux, mais tu iras autre part.
La lettre Çaddi sortit et s’en alla.
– La lettre Pé (פ) entra ensuite et formula la même demande, en faisant valoir ce fait que le mot « Pedouth » (= Délivrance, que Dieu doit accomplir un jour dans le monde) commence par un P.
Dieu lui répondit :
Tu es digne, en effet ; mais le mot « Péscha » (= Péché) commence également par un P. Tu as, en outre, la tête baissée (פ), symbole du pécheur qui honteux, baisse la tête et étend les bras.
– A la lettre Ayin (ע), Dieu répondit qu’elle commence le mot « Avon » (= Crime) ; bien qu’elle fit valoir le fait qu’elle commence également le mot « hava » ( Modestie), le Saint, béni soit-il, lui dit :
Je ne me servirai pas de toi pour opérer la création du monde.
– Quand elle sortit, la lettre Samekh (ס) entra et formula la même demande que les lettres précédentes en se réclamant de ce fait que le verset où il est dit : « Le Seigneur soutient tous ceux qui chancellent », commence par un mot dont l’initiale est un Samekh (Samekh = Soutien).
Dieu lui répondit :
C’est précisément à cause de ta destination que tu dois rester à ta place ; car, si je t’enlevais de ta place pour me servir de toi pour opérer la création du monde, qu’adviendrait-il de ceux qui sont près de tomber, puisqu’ils s’appuient sur toi ?
La lettre sortit immédiatement.
– À la lettre Noun (נ), qui fit valoir le fait que les mots « Nora » (= craint) et « Nava » (= Beau) commencent par cette lettre, Dieu répondit :
Retourne à ta place, car c’est à cause de toi que le Samekh est retourné à la sienne et appuie-toi sur lui, (le Noun étant l’initiale de Nophelim « ceux qui chancellent » du verset précité).
Incontinent, retournant à sa place, elle sortit.
– La lettre Mêm (מ) fit valoir le fait qu’elle est l’initiale du mot Mélekh (Roi).
C’est vrai, lui répondit Dieu ; mais je ne me servirai pas de toi pour opérer la création du monde, attendu que le monde a besoin d’un Roi ; reste donc à ta place avec les autres lettres formant le mot « Mélekh », c’est-à-dire avec la lettre Lamed (ל) et avec la lettre Caph (כ), car il ne sied pas au monde de rester sans Roi.
– À ce moment, la lettre Caph, vivement impressionnée, descendit du trône glorieux et s’écria : « Maître de l’Univers, qu’il te plaise de te servir de moi pour opérer la création du monde, attendu que je suis l’initiale du mot qui exprime ta gloire » (Cabod = Gloire). Lorsque la lettre Caph quitta le trône, deux cent mille mondes, ainsi que le trône lui-même, furent ébranlés ; la secousse était si violente qu’elle menaçait tous les mondes d’écroulement.
Le Saint, béni soit-il, dit alors à cette lettre :
O Caph, Caph, pourquoi persistes-tu à rester ici ? Retourne à ta place, car je ne me servirai pas de toi pour opérer la création du monde, parce que tu es l’initiale du mot exprimant l’extermination (Cala = exterminer). Retourne donc à ton trône et reste-là.
Aussitôt la lettre sortit et retourna à sa place.
– La lettre Yod (י) entra ensuite et formula la même demande en faisant valoir ce fait qu’elle forme l’initiale du nom sacré (יהוה).
Dieu lui répondit :
C’est assez pour toi d’être gravée et marquée en moi-même et d’être le point de départ de toute ma volonté ; il ne convient pas de te retrancher de mon nom.
– La lettre Tèth (ט) entra à son tour et formula la demande des lettres précédentes, en faisant valoir ce fait qu’elle est l’initiale du mot Tob (= Bon), qui est un des attributs de Dieu, appelé : le Bon et le Juste.
Dieu lui répondit :
Tu ne serviras pas à la création du monde ; d’abord parce que le bien que tu représentes est enfermé et caché en toi, ainsi qu’il est écrit : « O combien est grande l’abondance de votre bonté, que vous avez cachée pour ceux qui vous craignent » ; donc le bien est réservé pour le monde futur ; tu n’as, par conséquent, rien de commun avec le monde que je veux créer maintenant. Ensuite, parce que c’est précisément à cause du bien que tu caches en toi que les portes du temple seront enfoncées dans la terre, ainsi qu’il est écrit : « Ses portes sont enfoncées dans la terre. » Et enfin parce que tu as pour voisine la lettre Heth (ח), avec laquelle tu constitues le mot qui désigne le péché : Heth. C’est aussi pour cette raison que tes deux lettres (ח et ט) ne figureront dans aucun des noms des noms des douze saintes tribus.
La lettre Heth sortit alors immédiatement.
– Ensuite entra la lettre Zayin (ז) qui formula la même demande que les lettres précédentes, en faisant valoir qu’elle est l’initiale du mot qui commence le verset concernant l’ordonnance du repos sabbatique, ainsi qu’il est écrit : « Souviens-toi de sanctifier le jour du Sabbat. »
Dieu lui répondit :
Je ne me servirai pas de toi pour opérer la création du monde, parce que tu es l’image de la guerre, puisque tu as la forme d’un sabre affilé et d’un poignard de guerre, semblable â celle de la lettre finale Noun (ן). La lettre (ז) sortit alors immédiatement.
– La lettre Vav (ו) entra et formula la même demande que les lettres précédentes, en faisant valoir le fait de faire partie du nom sacré (יהוה).
Dieu lui répondit :
C’est assez pour toi et pour ta voisine la lettre Hé (ה) de figurer dans mon nom, de constituer le mystère renfermé dans mon nom et d’être gravées et marquées dans mon nom. Aussi ne me servirai-je pas de vous pour opérer la création du monde.
– Les lettres Daleth (ד) et Ghimmel (ג) entrèrent ensuite et formulèrent à leur tour la demande des lettres précédentes.
Dieu leur répondit :
C’est assez pour vous également de rester ensemble l’une à côté de l’autre ; car il y aura toujours des pauvres dans le monde auxquels on doit du secours ; or Daleth (= Pauvreté) désigne le pauvre, et Ghimmel (= secourir) désigne le bienfaiteur qui assiste le premier. Donc restez l’une à côté de l’autre pour que l’une nourrisse l’autre.
– La lettre Beth (ב) entra ensuite en disant :
Maître de l’Univers, qu’il te plaise de te servir de moi pour opérer la création du monde, attendu que je suis l’initiale du mot dont on se sert pour te bénir (Baroukh = béni soit) en haut et en bas.
Le Saint, béni soit-il, lui répondit :
C’est effectivement de toi que je me servirai pour opérer la création du monde, et tu seras ainsi la base de l’œuvre de la création.
– La lettre Aleph (א) resta à sa place, sans se présenter. Le Saint, béni soit-il, lui dit : « Aleph, Aleph, pourquoi ne t’es-tu pas présentée devant moi, à l’instar de toutes les autres lettres ? »
Elle répondit :
Maître de l’Univers, voyant toutes les lettres se présenter devant toi inutilement, pourquoi me serais-je présentée aussi ? Ensuite comme j’ai vu que tu as déjà accordé à la lettre Beth ce don précieux, j’ai compris qu’il ne sied pas au Roi céleste de reprendre le don qu’il a fait à un de ses serviteurs, pour le donner à un autre.
Le Saint, béni soit-il, lui répondit :
O Aleph, Aleph, bien que ce soit la lettre Beth dont je me servirai pour opérer la création du monde, tu auras des compensations, car tu seras la première de toutes les lettres, et je n’aurai d’unité qu’en toi ; tu seras la base de tous les calculs et de tous les actes faits dans le monde, et on ne saurait trouver d’unité nulle part, si ce n’est dans la lettre Aleph.
De ce qui précède il résulte que le Saint, béni soit-il, a créé les formes des grandes lettres célestes auxquelles correspondent les petites lettres d’ici-bas. C’est pourquoi les premiers deux mots de l’écriture ont pour initiales deux Beth (Bereschith Bara) et les deux mots suivants deux Aleph (Élohim Eth), afin d’indiquer les lettres célestes et celles de ce bas monde, lesquelles ne sont en réalité que les seules et mêmes lettres, à l’aide desquelles s’opère tout dans le monde céleste et dans le monde d’ici-bas. […]