Par Jacob Boehme ♦
Extrait de : De la Triple vie de l’homme, selon le mystère des trois principes de la manifestation divine (chapitre VII, traduit de l’allemand en 1793 par le Philosophe Inconnu sur l’édition de 1682, Paris, Migneret, 1809).
1 – Il nous est particulièrement imposé à nous autres hommes dans ce monde de chercher de nouveau ce que nous avons perdu. Maintenant si nous voulons trouver, il ne nous faut pas chercher hors de nous.
2 – Nous n’avons pas besoin d’aucuns flatteurs ni d’aucuns jongleurs qui nous encouragent et nous promettent des monts d’or pour que nous veuillions seulement les suivre et les faire briller.
3 – Et quand j’aurais toute ma vie assisté et écouté des sermons, et entendu toujours chanter et raisonner sur le ciel et sur la nouvelle renaissance, et que je fusse ainsi resté à côté, je n’aurais pas été plus avancé une fois que l’autre.
4 – Quand on jette une pierre dans l’eau et qu’on la retire, elle est aussi bien une pierre dure après comme avant, et elle garde sa forme ; mais si on la jette dans le feu, alors elle acquiert une nouvelle forme en soi-même.
5 – Ainsi il en est de même de toi, homme, quand même tu courrais à l’église, et que tu voudrais être vu comme un ministre du Christ ; cela n’est point assez. Si tu es resté à côté, tu es après comme avant.
6 – Ce n’est point non plus assez que tu apprennes tous les livres par cœur, et quand tu resterais les jours et les années à lire toutes les Écritures, et quand tu saurais la Bible par cœur, tu n’en es pas meilleur devant Dieu qu’un gardeur de pourceaux, qui, pendant tout ce temps-là, a gardé les pourceaux, et qu’un pauvre prisonnier dans les ténèbres, qui, pendant tout ce temps-là, n’a pas vu la lumière du jour.
7 – Il ne te sert de rien de jaser, ni que tu saches beaucoup parler de Dieu, si tu dédaignes la simplicité, comme font les hypocrites sur la bête de l’Antéchrist, qui défendent la lumière à ceux qui voient, comme cela est arrivé à cette main. Ici s’applique ce que dit le Christ : à moins que vous ne vous convertissiez et que vous ne deveniez comme des enfants, vous ne verrez point éternellement le royaume du ciel. Vous devez être engendrés de nouveau, si vous voulez voir le royaume de Dieu. Voilà le vrai but.
8 – L’art et l’éloquence ne servent à rien, ici, tu n’as pas besoin non plus de livres ni d’industrie ; en ceci un berger est aussi savant qu’un docteur, et souvent beaucoup plus. Car il se jette plutôt de sa propre raison dans la miséricorde de Dieu, il n’a pas une grande dose de sage raison ; c’est pourquoi il ne se consulte point par cette voie, mais il va simplement avec le pauvre publicain dans le temple du Christ, tandis que le savant place encore devant soi d’abord une académie, et examine premièrement dans quel esprit il entrera dans le temple du Christ. Il consulte avant tout l’opinion des hommes ; veux-tu chercher Dieu avec telle ou telle opinion ? L’un est de l’opinion du Pape, un autre de celle de Luther, un troisième de celle de Calvin, un quatrième de celle de Schwenckfelds, ainsi de suite. Il n’y a point de fin aux opinions.
9 – Ainsi la pauvre âme demeure dans le doute hors du temple du Christ ; elle frappe, elle cherche, et doute toujours de plus en plus que ce soit là le vrai chemin.
10 – Ô toi âme égarée dans Babel, que fais-tu ? Éloigne-toi de toutes les opinions, quelque nom qu’elles portent dans ce monde. Elles ne sont toutes qu’un combat de la raison.
11 – On ne trouve point la nouvelle renaissance ni la noble pierre dans le combat, ni dans aucune sagesse de la raison ; tu dois laisser aller tout ce qui est dans ce monde, quelque brillant que cela puisse être, et entrer en toi-même, ne faire autre chose que d’amasser en un tas tes péchés dans lesquels tu es empoisonné et les jeter dans la miséricorde de Dieu et t’envoler vers Dieu, Lui demander qu’Il les oublie et qu’Il t’illumine de Son esprit.
12 – Il n’y a pas besoin de disputer longtemps, mais seulement d’être ferme ; car le ciel doit se fendre et l’enfer trembler, et cela arrive aussi. Tu dois jeter là-dedans toutes tes pensées avec ta raison, et tout ce qui se présente à toi sur ton chemin, afin que tu ne veuilles pas Le laisser (Dieu), à moins qu’Il ne te bénisse comme Jacob, qui combattit ainsi avec Dieu toute la nuit. Quand même ta conscience dirait non, Dieu ne veut point de toi. (Dis) : Je veux être Sien, je ne Te lâcherai point, quand on me traînerait dans le tombeau. Que ma volonté soit la Tienne, je veux ce que Tu voudras, Seigneur ; et quand même tous les démons t’environneraient et diraient, arrête, c’est assez pour une fois, il faut que tu dises : Non, ma pensée et ma volonté ne se sépareront point de Dieu, elles doivent être éternellement dans Dieu ; Son amour est plus grand que tous mes péchés. Si vous, diable et monde, avez le corps mortel en votre prison, j’ai moi, mon Sauveur et mon Régénérateur dans mon âme ; Il me donnera un corps céleste qui demeurera éternellement.
13 – Essaie ainsi cela seulement, et tu trouveras des merveilles, tu en recevras bientôt un en toi qui t’aidera à lutter, à combattre et à prier ; et quand même tu ne pourrais pas dire beaucoup de paroles, ce n’est pas en cela que la chose consiste, pourvu que tu puisses seulement dire la simple parole du publicain : Ah ! Dieu, ayez pitié de moi, pauvre pécheur. Mais quand ta volonté avec toute ta raison et tes pensées seront déposées en Dieu, ne te sépare pas de Lui, quand même l’âme devrait se séparer du corps ; alors tu possèdes Dieu, tu perces au travers de la mort, de l’enfer et du ciel, et tu entres dans le temple de Christ en dépit de tous les démons. La colère de Dieu ne peut pas t’arrêter, quelque grande et puissante qu’elle soit en toi ; et quand le corps et l’âme brûleraient dans la colère, et seraient au milieu de l’enfer parmi tous les démons. Tu peux cependant sortir de là, et venir dans le temple du Christ, où tu reçois la couronne de perle alliée à la noble et digne pierre, la pierre angulaire des philosophes.
14 – Mais sache que le royaume du ciel est aussi semé en toi, et est petit comme un grain de moutarde. Tu reçois une bien grande joie de la couronne angélique, mais fais attention, ne la pose pas sur le vieil Adam, ou bien il en sera de toi comme d’Adam. Garde ce que tu as. Souffrir du besoin est un vilain hôte.
15 – D’une petite branche vient enfin un arbre, si elle est plantée dans un beau champ. Plusieurs vents froids et rudes vont se ruer sur la branche ; jusqu’à ce qu’il ne croisse un arbre, elle est chancelante. Tu dois être exposé à l’arbre de la tentation, et aussi au mépris dans le désert de ce monde ; si tu ne le soutiens pas, tu n’obtiens pas. Si tu déracines ta branche, tu fais comme Adam, tu rendras la chose plus difficile que la première fois, cependant elle croît dans le jardin de roses, à l’insu du vieil Adam. Car il y a eu un temps long depuis Adam jusqu’à l’humanité du Christ, dans lequel l’arbre des perles a poussé secrètement sous le voile de Moïse, et cependant il est devenu un arbre en son temps, avec de beaux fruits.
16 – Ainsi si tu es tombé, et que tu aies perdu la belle couronne, ne te désespère point ; cherche, frappe, reviens, et fais comme auparavant, et tu éprouveras de quel esprit cette main a écrit. Tu recevras ensuite un arbre en place d’une branche, et tu diras : Ma branche est-elle donc devenue un arbre pendant mon sommeil ? Alors tu reconnaîtras d’abord la pierre des philosophes. Remarque cela. […]