« Nul ne peut nier le rôle éducatif que l’on donne aux contes de fées. Depuis les temps immémoriaux, les contes servent de base à l’éducation et à l’éveil de la conscience de l’enfant, mais aussi de l’adulte. Platon parle des vieilles femmes racontant des histoires symboliques aux enfants. Au deuxième siècle, Apulée écrit Amour et Psyché, conte du même type que La Belle et la Bête, et des papyri égyptiens nous ont donné en héritage des récits tels que Le Conte des deux frères, rapportant l’histoire d’Anubis et Bata.
Les divers récits ont évolué au cours des âges ; d’abord transmis de bouche à oreille, ils ont été transcrits par différents auteurs reprenant à leur compte leur propre version. Si on prend l’exemple des fables, les mêmes histoires ont été rédigées par Ésope (6e siècle avant notre ère), puis par Phèdre (1er siècle après J.-C.), et enfin par La Fontaine au 17e siècle. Les contes de fées ont été repris également maintes et maintes fois : par exemple, il existe une version de La Belle au Bois dormant écrite par Charles Perrault et une autre par les frères Grimm. Certains pédagogues ont estimé que certaines versions originales étaient trop traumatisantes pour les jeunes enfants, et c’est ainsi que des versions plus douces ont vu le jour.
Autrefois, toute la connaissance était unifiée : la philosophie, la science, l’histoire naturelle formaient un tout. Ainsi les mythes, les légendes, les fables et les contes constituaient un enseignement complet. Le monde moderne, trop matérialiste, a subdivisé le savoir en de multiples disciplines, en conséquence nous interprétons mal ce que le passé nous a légué. En ce qui concerne les contes de fées, nous considérons dans le meilleur des cas que ce sont de petites histoires moralisatrices et éducatives pour enfants. Or, les contes de fées recèlent un enseignement caché.
En étudiant les diverses versions, on peut considérer que malgré l’évolution, ce qui ne se transforme pas et qui reste fidèle à la tradition orale et authentique, depuis la nuit des temps, ce sont les thèmes. Comme thème inchangé depuis des millénaires, on peut citer par exemple ce que le psychologue Bruno Bettelheim appelle «le fiancé-animal», thème du conte La Belle et la Bête. Voilà une première piste qui nous incite à penser que les contes de fées peuvent être considérés comme un enseignement de type traditionnel.
Une deuxième observation que l’on peut faire, c’est que ces thèmes sont en rapport avec le psychisme de l’homme. C’est ici qu’intervient la psychologie moderne. Selon Freud, l’inconscient est constitué, d’une part de désirs et d’impulsions instinctives, et d’autre part de tendances devenues secrètes sous l’influence des interdits de l’éducation. Cet inconscient reste caché quand la conscience est éveillée, mais envoie des signes quand la conscience se relâche : pendant les rêves. Pour un mystique, l’inconscient peut également se révéler lors de certaines phases de la conscience, comme pendant la méditation ou la prière.
La manière de voir de Carl Gustav Jung se rapproche plus de celle du mystique, car il introduit la notion d’inconscient collectif, commun à toute l’humanité, témoin des problèmes qu’elle a traversés au cours des âges. Nous dirions la mémoire de l’humanité. Cet inconscient collectif s’exprime par des symboles que Jung appelle «les archétypes». On les retrouve dans la mythologie, les légendes, et aussi dans les rêves. Ils sont à la base des religions, des mythes et des contes de fées. On peut citer par exemple le dragon, le cercle, le Paradis Perdu. Ces symboles, ces archétypes, représentent un des aspects de l’inconscient collectif et en même temps en symbolisent la totalité. Beaucoup de contes de fées commencent par les termes «Il était une fois…», ce qui les situe en dehors du temps et de l’espace, donc dans l’inconscient collectif. Pour parler en termes mystiques, nous dirons dans les Archives Akashiques. C’est là la source des symboles universels.
Nous allons aborder quelques-uns de ces symboles et nous remarquerons la concordance entre la signification qu’ils ont dans les contes de fées et celle que nous avons étudiée dans les enseignements de l’Ordre Martiniste Traditionnel.
- Le manteau. Le manteau magique rend invisible celui qui le porte. Cela signifie deux choses : Premièrement, après de longues années de pratique spirituelle, le corps du méditant acquiert une apparence subtile, transparente, qui est en fait son état de conscience. Deuxièmement, le héros met le manteau magique avant d’entrer dans un lieu dangereux et difficile d’accès : une crypte, un château, une montagne, une grotte. Là, il délivre la princesse, s’unira à elle et trouvera le trésor. En réalité, l’endroit inaccessible est notre propre Moi intérieur, la princesse, l’âme, et le trésor, les bienfaits de l’union.
- L’épée. Elle symbolise l’action supérieure de l’intelligence et pénètre pour découvrir l’essentiel. Elle a la forme d’une croix montrant que cette intelligence vient du coeur et non de l’intellect. C’est donc bien ce qu’elle est pour nous : un des attributs du Maître, de l’Initiateur.
- La couronne. Elle représente la dignité, la sagesse, la puissance, et indique l’éveil du chakra le plus élevé. La couronne, c’est Kether, la sephira supérieure. C’est aussi la coiffure royale, mais le roi ne peut régner s’il ne possède pas les attributs que nous venons d’indiquer et que la couronne symbolise.
- La bague. Symbole d’union entre l’homme et la femme, c’est-à- dire entre le corps et l’âme.
- Le collier. Rangée de perles ou de pierres unies par un fil. C’est la faculté d’unir les choses différentes en une seule : la multitude forme l’unité. Ces deux derniers symboles nous font penser à la cordelière et à la chaîne rituelle.
- L’or. L’or ne représente pas la richesse matérielle mais les attributs de l’être. Il traduit les qualités de l’âme. Quand le héros vainc le dragon (ses propres défauts), puis s’unit à la princesse (l’âme), il possède l’or (la réalisation spirituelle). Il devient roi, peut gérer son royaume, y apporter la paix, la justice et la fraternité.
- Le cerf-volant. Dans les contes, l’enfant jouant au cerf-volant quitte le monde matériel pour visiter un autre univers. Le cerf-volant reflète l’âme, reliée au corps par le fil. Quand le fil s’allonge, l’âme s’envole vers les mondes invisibles. Dans ce symbole, nous percevons immédiatement la concordance avec la corde d’argent ou enveloppe plastique, qui permet de voyager en astral durant le sommeil ou pendant des périodes de grande élévation mystique. Ce thème est aussi symbolisé par les bottes de sept lieues.
- La cheminée. C’est la voie de passage des fées et du Père Noël, c’est-à-dire la voie de communication avec le monde surnaturel. La cheminée symbolise aussi le conduit subtil de la colonne vertébrale ; partant du foyer de l’âtre, l’énergie fondamentale, la kundalini, parcourt les chakras jusqu’au sommet du crâne. Tout ce qui est énergie céleste descend, et l’homme doit faire l’effort de monter.
- La sentinelle. Elle est en rapport avec l’arbre ; de là-haut, le héros est la sentinelle. Elle symbolise la vigilance. A l’abri du danger, elle peut apercevoir la petite lumière, fruit de sa méditation, qui amènera au dénouement de l’histoire.
D’autres symboles peuvent être trouvés, comme le chasseur cherchant le gibier qui représente le chercheur essayant de comprendre sa nature. Voyons, à présent, un autre thème trouvé dans les contes et très présent dans nos enseignements. Il s’agit des oppositions de la vie. Dans nos études, au sujet de l’opposition beauté-laideur, deux contes sont interprétés Le Vilain Petit Canard et La Belle et la Bête. Dans le premier, on nous apprend que ce qui est laid pour les uns est beau pour les autres ; dans le second, la Belle est d’abord craintive, puis fait preuve de pitié, et enfin d’amour. Aidée par ses rêves, elle découvre que les apparences sont trompeuses.
L’opposition richesse-pauvreté se retrouve dans un autre conte, extrait des Mille et une Nuits. Cette fois, il s’agit de Sindbad le marin. Ce titre ne montre qu’un aspect des choses ; le titre complet est Sindbad le marin et Sindbad le portefaix. Le portefaix, fatigué de son labeur, se repose devant la riche demeure du marin. Celui-ci lui raconte ses sept voyages merveilleux. Outre les oppositions richesse-pauvreté, ou encore sagesse-folie, nous pouvons donner une autre interprétation. La psychologie nous indique que nous sommes, en fait, devant les deux aspects d’une même personnalité.
Nous pouvons trouver d’autres oppositions : domination-subordination dans Cendrillon ; vie et mort : la mère de Blanche Neige meurt en lui donnant le jour.
L’évolution est liée à l’alternance calme-activité (ou vie-mort). Dans le conte La Belle au Bois dormant, la jeune fille passe de l’adolescence à l’âge adulte pendant son sommeil. Nous pouvons interpréter ceci de la manière suivante : la période de repos, de contemplation, de méditation, peut conduire le chercheur à de grandes réalisations. La Belle se réveille quand elle est prête à affronter le monde adulte, autrement dit, quand le disciple est prêt, le Maître apparaît.
Les nombres sont aussi très présents dans les contes de fées. Le nombre trois. Il peut avoir plusieurs significations. Dans l’histoire des trois petits cochons, il signifie les trois étapes, les trois degrés avec les trois initiations. Il donne aussi une idée de l’alchimie spirituelle, car la transmutation, le perfectionnement, se voit dans l’utilisation successive de la paille, du bois, et enfin de la brique ; le loup termine sa vie dans les flammes.
Dans la plupart des contes, les épreuves auxquelles doit se soumettre le héros vont toujours par trois. Cela indique le chemin à parcourir et les épreuves de la vie, comme le montrent aussi les trois degrés initiatiques.
Les Trois Plumes. Dans ce conte, un roi soumet à ses trois fils trois épreuves pour voir qui lui succédera : ramener un tapis richement brodé, un anneau d’or, et enfin la plus jolie fille. Chacun va dans la direction indiquée par une plume lancée en l’air. L’un des fils va vers l’ouest, le second à l’est. La plume du dernier, appelé le Nigaud, tombe devant lui. Les deux aînés cherchent la facilité et ne ramènent que vieille étoffe, anneau de fer et simple paysanne. Le Nigaud découvre devant lui un souterrain où une femelle crapaud lui tisse un merveilleux tapis, puis lui découvre un bel anneau d’or. Enfin, il choisit une autre petite femelle crapaud qui, ramenée à la surface, se transforme en une magnifique jeune fille. Tout, dans ce conte, montre l’importance de la femme. C’est elle qui aide le héros dans sa recherche, qui lui indique que c’est au plus profond de lui-même (le souterrain), qu’il peut trouver l’itinéraire de son évolution. Elle représente donc son maître intérieur qui le mènera à se connaître et à atteindre la perfection (devenir roi). Il en va de même pour nous : c’est au plus profond de nous-mêmes que l’on peut trouver l’itinéraire de notre propre évolution.
Dans les contes de fées, le sens du merveilleux cache un autre sens qui peut guider l’homme de désir vers sa quête mystique. On observe en effet un lien entre la loi du karma, les éléments, et ce qu’on pourrait appeler «les esprits des éléments». Ceux-ci ont chacun leur domaine : les fées, les nains et les gnomes sont les esprits de la Terre ; les elfes et les sylphes sont les puissances de l’Air ; par l’Eau agissent les sirènes et les nymphes ; les salamandres sont les maîtres du Feu. Ces entités de la nature apprennent aux personnages du conte à bien utiliser leur libre arbitre, soit en punissant l’homme pervers (par éboulement, tempête, noyade, incendie), soit en imposant des épreuves au héros. C’est ainsi qu’il devra arrêter le souffle du vent, gravir une montagne, passer au travers d’un mur de flammes, traverser une rivière dangereuse. Ces épreuves sont donc à la fois karmiques et initiatiques. C’est par elles que les entités de la nature nous renvoient le reflet de notre propre intérieur. Le héros dépassant ces obstacles est donc le nouvel homme. Le vieil homme est enterré, envolé, noyé, brûlé.
- La Chute. C’est un autre thème bien connu des Martinistes. Dans le conte Peau d’Âne, l’âne change ses excréments en or, ce qui procure au roi, son propriétaire, pouvoir temporel et richesse matérielle. Mais le roi chute, comme Adam et Ève, parce qu’il a convoité le fruit défendu (il voulait épouser sa fille). Il a perdu toutes les richesses que lui procurait son âne. C’est au travers de la princesse que l’homme déchu, parcourant toutes les épreuves qui lui sont imposées, doit retrouver gloire et honneur symbolisés par les parures d’or et de diamants. Ces nouvelles richesses ne représentent plus le pouvoir temporel comme l’or de l’âne, mais le pouvoir spirituel. L’initié doit aussi abandonner les illusions du pouvoir pour s’enrichir de forces immatérielles pour l’éternité.
Souvenons-nous encore d’un aspect de nos enseignements, écrit un peu à la manière symbolique des contes de fées : nous devons conquérir le château de l’aventure pour y trouver le vase sacré, mais avant cela, nous devrons vaincre le dragon et les épreuves de la Terre, de l’Air, de l’Eau et du Feu, afin de devenir notre propre roi. »
Texte de Bhratar, extrait de la revue Pantacle n°9.