Par Victor-Émile Michelet ♦
Extrait De l’Ésotérisme dans l’Art, Librairie du Merveilleux, 1890, Paris.
« L’esthétique: science incertaine et trébuchante ! Pourtant elle repose sur un socle fixe.
La Beauté a son absolu. L’idéal est un. Toutes les formules de la Beauté données par les différents génies humains, toutes les grandes œuvres d’art sont inspirées par cet Idéal unique, toujours le même malgré la diversité des formes qu’il revêt. Ainsi la lumière envoie des rayons diversement colorés quand elle traverse le prisme.
J’imagine un septénaire de grands artistes, au hasard énumérés : Dante, Shakespeare, Vinci, Dürer, Beethoven, Poe, Hugo. C’est le même et unique Idéal qui brille sous des formes variées à travers ce prisme d’âmes. Car la Beauté immuable est sœur de la Vérité immuable. […]
Parmi les poètes, parmi les artistes, il y en eut, dans tous les temps, qui étaient guidés dans leur œuvre non seulement par leur intuition, mais aussi par une étude approfondie des choses de la nature, qu’on considère comme secrètes; qui ont connu la synthèse de ce qu’on appelle — plus ou moins improprement — la science occulte. Il y eut des poètes et des artistes qui étaient ce qu’on appelle des Initiés, des occultistes, des magistes.
Ils sont très nombreux, ces poètes, ces artistes qui ont été des initiés. Elles fourmillent, ces œuvres d’art qui, sous la formule de Beauté, révèlent des vérités scientifiques de l’ordre le plus haut.
Ainsi, les initiés de notre temps, ceux qui cherchent dans les bouquins des bibliothèques, dans les systèmes des philosophes, dans les théories des kabbalistes, dans les symboles des alchimistes, dans tout ce qui a touché aux choses du Mystère, quelque chose de la Vérité universelle, ceux qui veulent pénétrer les secrets de la haute science, doivent étudier Shakespeare, Homère, Dante, Eschyle, etc., etc. Ils trouveront des enseignements dans les peintures de Vinci et d’Albrecht Dürer, dans la statuaire antique, dans l’architecture antique, dans les drames lyriques de Richard Wagner, etc., etc.
Ne nous attardons pas trop longuement dans l’art de l’antiquité et dans l’Art, trop peu connu, de l’Orient. Tout cela est trop loin de nous, bien qu’immortel.
On sait que les sphinx d’Égypte, ces sculptures qui paraissent à nos savants des figures de fantaisie, sont-ce que les initiés nomment des pentacles, c’est-à-dire des représentations, par une forme non arbitraire, de conceptions initiatiques. On sait que l’homme qui comprendrait toutes les idées contenues dans la forme du Sphinx serait un Initié du plus haut degré. On sait que les pyramides d’Égypte sont également des pentacles, des schémas de l’idée initiatique. Toute l’architecture antique, au temps où elle était hiératique et sacrée, sibylline, construisait des temples dont la forme était un enseignement pour l’initiable. Je dirai même plus: l’art de la danse de théâtre, au temps où elle était non pas, comme aujourd’hui, un divertissement, un plaisir des yeux, mais un art sacré, au temps où elle était l’orchestique des Grecs, par exemple, était pleine d’enseignements initiatiques. […]
Je me bornerai à rappeler que l’Exposition de 1889 à Paris a fourni plusieurs reconstructions d’ancien art exotique qui méritaient l’attention des occultistes. Ainsi le palais du Mexique était plein de figures hermétiques empruntées à une très vieille civilisation américaine. Ainsi, dans la rue du Caire, la reconstruction, réduite, du temple égyptien d’Edfou, était ce que nous appelons un pentacle.
Restons dans notre France. Tout l’art gothique est hermétique, est plein d’enseignements occultes. Toutes nos cathédrales du moyen âge fourmillent de ces enseignements. Notre-Dame de Paris est une école d’Alchimie. Le portail plus proche de l’Hôtel-Dieu contient des sculptures donnant hiéroglyphiquement le secret du Grand-Œuvre. M. Papus, dans son Traité élémentaire de sciences occultes, en donne l’explication.
La Tour Saint-Jacques est un pentacle. La Tour Saint-Jacques contient, sculptés dans la pierre, plus d’enseignements en matière de sciences occultes que toute une bibliothèque. On connaît là-dessus la légende de l’alchimiste Nicolas Flamel. Avez-vous remarqué, au sommet de la Tour, les quatre figures qui, aux quatre coins, dominent Paris, colossales: un lion, un aigle, un ange et un taureau ? ce sont les quatre animaux de l’Apocalypse, les quatre animaux symboliques dont la compréhension donne la clef du grand arcane, fait le grand Mage, dompteur des forces; les quatre animaux qui constituent le Khéroub de la Khaldée, le Sphinx de l’Égypte, les veaux de l’arche d’alliance ; les quatre animaux représentant ce qu’on appelle le quaternaire, ce que les Kabbalistes appellent du nom sacré יהוה, et ce que les alchimistes appellent les quatre éléments, Feu, Air, Eau, Terre, — éléments qui paraissent si naïfs aux chimistes modernes parce qu’ils les prennent dans leur sens positif, s’attachant à la lettre, non à l’esprit.
Pénétrons dans les arts plastiques, peinture et sculpture. Il est évident, pour tout occultiste, dès qu’il voit une œuvre comme le Saint Jean-Baptiste ou la Vierge aux Rochers de Léonard de Vinci, au musée du Louvre, que le peintre qui a fait de telles œuvres était un initié d’un ordre supérieur. Je n’ai pas encore lu les manuscrits de Vinci, mais il est probable que ce génie universel a décelé là quelque chose de sa science.
Regardons un peu les modernes. Un peintre comme Gustave Moreau, un aquafortiste comme Félicien Rops, un sculpteur comme Rodin, ont créé des œuvres qui révèlent l’intuition du génie vers l’Harmonie, vers l’universelle vérité. Ils sont des initiés inconscients. »