Patricia Henry ♦
Extrait d’une publication de l’Heptade Louis-Claude de Saint-Martin de Port-au-Prince, en Haïti.
L’interprétation des rêves est une pratique qui remonte à la plus haute Antiquité. La plupart des grandes traditions spirituelles ou religieuses leur attribuaient une très grande importance. L’intérêt accordé aux rêves par la science et la psychologie est très récent par rapport à l’étude des grandes traditions spirituelles. Depuis l’enseignement donné dans les temples d’Égypte jusqu’aux organisations mystiques actuelles, les rêves ont toujours fait l’objet de la plus grande attention dans les écoles de spiritualité.
Si la psychologie les considère comme les messagers de l’inconscient et la science comme un phénomène d’hygiène cérébrale, la tradition mystique leur attribue une fonction spirituelle. Ils y apparaissent comme les messagers de l’âme, au même titre que l’intuition et la méditation.
Il y a autant de raisons de rêver que de raisons de vivre, car nos rêves sont en rapport direct avec notre existence. Il est maintenant confirmé par la science que l’on rêve toutes les nuits. C’est pourquoi quand une personne déclare qu’elle ne rêve jamais, il faut plutôt lui rétorquer qu’elle devrait dire qu’elle ne se souvient pas de ses rêves. Pour en savoir plus sur nos rêves, il faut essayer de nous les remémorer le matin au réveil par une technique simple qui consiste à faire une inspiration profonde avant de s’endormir et de dire en exhalant : « Je souhaite me souvenir clairement de mes rêves à mon réveil. » Nos rêves nous concernent. Ils nous sont personnels et ne doivent pas faire l’objet de conversations banales. Il ne faut pas demander aux autres de les interpréter à notre place. Abstenons-nous de les raconter à nos connaissances, sous peine qu’ils soient profanés et perdent leur sens véritable. Pensons plutôt à les noter soigneusement sur un carnet réservé à cet effet.
Le rêve, par définition, est lié au sommeil, tandis que la vision, même nocturne, se produit dans l’état intermédiaire entre le sommeil et l’éveil, à la frontière de la conscience subconsciente et de la conscience subjective. Pour cette raison, la vision laisse toujours des traces dans la conscience et la mémoire, alors que le rêve passe souvent inaperçu.
Les rêves ne devraient pas être considérés comme dénués de sens. Certains peuvent être le reflet de nos pensées récentes, résultant d’expériences et d’émotions vécues au cours des jours précédents. Ils peuvent aller des images les plus choquantes aux plus sublimes expériences, mais dans tous les cas, ils proviennent de l’activité de notre propre conscience et font par conséquent partie de notre réalité.
Les personnages que nous voyons dans nos rêves doivent être analysés, car ils symbolisent le plus souvent nos qualités, défauts ou attributs. Dans d’autres cas, ils sont là pour nous indiquer qu’il existe un problème dans nos relations avec des proches. Le cadre dans lequel se déroule le rêve, l’arrière-plan, doit également retenir notre attention, car ce n’est pas un hasard si la scène se déroule dans un environnement spécifique.
Les rêves sont de différents types. Ils peuvent être physiologiques ou réactifs, récurrents, prémonitoires, d’incubation, lucides, spirituels, curatifs, compensatoires. Les rêves provoqués par des conditions physiologiques sont ceux qui résultent de stimuli internes ou externes, comme par exemple un trouble digestif, les perceptions de températures ou auditives. Dans le rêve prémonitoire, la justesse du message reçu est en général confirmée dans les jours qui suivent. Le rêve d’incubation est un type de rêve au cours duquel nous trouvons la solution à un problème. Ne dit-on pas que la nuit porte conseil? Dans le rêve lucide, le rêveur réalise qu’il est en train de rêver. Il est très conscient d’être dans un état onirique. Le rêve spirituel, ou songe, ou rêve initiatique, s’accompagne d’une émotion qui peut aller de l’impression d’élévation de l’esprit jusqu’à l’émerveillement. On sait intérieurement qu’il y a eu un contact cosmique. Les rêves compensatoires, comme leur nom l’indique, permettent de compenser les angoisses et les craintes. Le prisonnier rêve de liberté, le mal-aimé rêve d’amour, le pauvre rêve de richesse. Les rêves curatifs concernent la santé et le bien-être. Dans le cas d’une maladie dont on n’a pas conscience, le rêve peut servir de sonnette d’alarme.
Le sommeil paradoxal est plus propice aux rêves, et le sommeil profond plus favorable à la projection du corps psychique. La principale ressemblance entre le rêve et la méditation, c’est qu’ils puisent tous deux dans les trésors du subconscient ; tout comme le rêve, la méditation transcende la raison. Après avoir réfléchi à une situation particulière, le méditant fait taire son mental et s’abandonne à la conscience subconsciente dans une attitude passive et réceptive. En cela, sa démarche se rapproche du rêve où la conscience extérieure est inactive pendant qu’opère le subconscient.
Parfois clairs, mais le plus souvent obscurs, les rêves méritent toute notre attention, car un rêve non interprété est comparable à une lettre non déchiffrée selon la kabbale. Et la clef de l’interprétation réside dans l’association de leur contenu et de notre vécu.
Le rêve nous permet d’accéder à des niveaux de conscience physique, psychologique, et spirituel. À chacun d’eux correspond un type de rêve ; la question est de tenter de comprendre comment ils peuvent contribuer à notre développement. L’inconscient s’exprime, en effet, de manière privilégiée par le langage des rêves, c’est-à-dire par des images symboliques chargées d’énergies psychiques vivantes appelées « archétypes ». Ces images apparaissent spontanément durant les rêves nocturnes, mais elles peuvent se produire en état de relaxation profonde alors même que la conscience n’est pas endormie. Dans cet état modifié de conscience, il est possible d’établir un contact lucide et direct avec le subconscient pour l’observer et le libérer de ses blocages. C’est à juste titre qu’on qualifie les rêves d’over flow, parce qu’ils permettent de libérer un trop plein. Les images symboliques permettent, dans le même temps, d’établir un contact vivant avec le supra-conscient, là où siègent les énergies vives, créatrices et guérisseuses de l’âme, indispensables à une vie réussie.
Par nos rêves, nous pouvons recevoir des enseignements, nous découvrir et savoir qui nous sommes vraiment. Le rêve nous permet de passer de la conscience ordinaire à une conscience élargie, et finalement à la Conscience cosmique.
Certains rêves font si forte impression qu’ils nous réveillent en sursaut au milieu de la nuit. Quand cela se produit, il faut savoir qu’il s’agit là d’un rêve majeur qui demande toute notre attention. Il faut alors noter immédiatement tous les détails possibles, sans omettre les impressions et les émotions qui accompagnent ce rêve : joie, paix, tristesse peur, anxiété, etc.
Un rêve spirituel ne nécessite pas l’usage du dictionnaire des rêves pour sa compréhension. C’est un message fort et profond, mais pour cela il faut une analyse intuitive avant que le mental n’intervienne pour provoquer des distorsions à notre interprétation. Le rêve est un dialogue entre nous et nous. C’est une histoire d’amour, pour soi, pour l’autre et pour Dieu. Si la Conscience cosmique prend contact avec nous pour dialoguer, cela peut se faire de façon diurne ou nocturne. L’important est d’être conscient du moment présent. Il faut apprendre à développer un degré de lucidité dans nos rêves pour qu’il soit utile au réveil. La pensée originelle s’exprime par des symboles dans nos rêves et nous interpelle à le manifester dans notre vie de tous les jours ; par exemple : offrir un sourire, aider notre prochain, écrire un livre.
Le rêve est un langage entre « l’endroit et l’envers », entre « le dehors et le dedans », et débuter ce dialogue intérieur est de commencer à s’ouvrir et à être réceptif pour comprendre l’action que le rêve nous demande d’accomplir aujourd’hui. Tenir son carnet de rêve, c’est tenir son carnet de vie de manière à être en communion avec la Conscience cosmique et avec Dieu.
Evelyn Underhill le confirme dans son livre Mysticisme : Je dois connaître Dieu directement, je dois devenir complètement Lui et Lui moi, de telle sorte que Lui et moi ne soyons plus qu’un. Elle ajoute plus loin dans ce même livre : « La voie du mystique est une progression, une croissance de l’amour, un encouragement délibéré de la tendance intérieure de l’homme à aller vers sa source, la suppression de ses inclinations désordonnées pour les biens temporels. Mais le seul but de l’amour c’est l’union, une union parfaite et la fusion en un seul être, de deux êtres qui s’aiment !
Étudier ses rêves, c’est entreprendre un chemin initiatique à part entière. À travers l’étude quotidienne des rêves se dessine la progression des transformations qui conduisent à une rénovation de l’être.
La question centrale devient alors celle-ci : « Quel rapport puis-je établir entre les images de mon rêve et mon expérience personnelle ? » Il ne suffit pas d’être habile en interprétation, il faut aussi passer à l’action. Le rêveur averti applique durant le jour les inspirations de la nuit, et quand revient le moment du sommeil, il va de nouveau frapper à la porte du rêve, d’où l’expression de Serge Villaverde « tricoter ensemble les jours et les nuits ».
La conscience étant un attribut de l’âme, en s’incarnant dans la matière, elle induit l’activité non seulement des facultés sensorielles et rationnelles, mais également celle des facultés spirituelles, qui sont mises à contribution aussi bien dans l’élaboration des rêves que dans les expériences mystiques. C’est notre âme qui nous relie à la mémoire universelle, qui emmagasine nos souvenirs personnels, qui absorbe nos déboires et nos frustrations ; c’est elle aussi qui perçoit nos déséquilibres et élabore les scénarios des rêves propres à les corriger.
Nous avons donc tout avantage à scruter attentivement nos rêves, non seulement pour améliorer notre condition psychologique, mais aussi pour découvrir notre nature intime et progresser sur le chemin de la réalité ultime. Nos nuits sont vitales pour notre vie car elles nous permettent de nous régénérer en nous nourrissant de l’énergie cosmique, et à travers le rêve, elles nous offrent des outils essentiels pour nous guider jusqu’à notre accomplissement.
Terminons cet exposé par la prière de Martinès de Pasqually, qui pense que les songes se font par l’intermédiaire de l’Esprit bon compagnon veillant en permanence sur nous. Il la recommande à ses disciples, dans le but de favoriser les rêves et de recevoir ainsi l’inspiration divine.
Tout dort à présent dans la nature des êtres matériels corporels. Je vais bientôt dormir moi-même. C’est dans ce temps de silence et de repos que tu daignes quelques fois te manifester par le ministère de tes Intelligences divines. Que je serais heureux, ô mon unique bien, si tu voulais m’accorder quelque faveur, m’instruire et m’éclairer par la voix de mon Esprit Gardien. Envoie-moi un songe salutaire qui me prouve la communication des opérations puissantes qu’il fait pour moi. Fais qu’à mon réveil j’en retienne une vive impression qui devienne la force et la règle de ma conduite pendant le jour de demain. Si tu le permets, Ô Éternel que j’y arrive ! Amen.