Par F.A. Arakilah ♦
Extrait du bulletin mensuel n° 351 de l’Ordre Martiniste Traditionnel.
Tout symbole ou récit ésotérique comporte un double aspect. Par exemple, l’histoire de la Chute de l’homme dans la Genèse biblique n’est pas seulement le récit d’une évolution, c’est aussi une représentation symbolique de la Réintégration en Dieu. La fin rejoint toujours le commencement, et l’éternité rend identique l’évolution et l’involution, qui ne sont jamais que des aspects illusoires de la réalité unique.
Le serpent qui vint au-devant d’Ève est également un symbole à double sens. En effet, il est tout aussi bien le “tentateur” que le génial messager de la Sagesse. Et lorsqu’il est dit que l’Éternel revêtit Adam et Ève d’une «tunique de peau» (Genèse III, 21), les kabbalistes, par une savante permutation de lettres, lisent au contraire que c’est «un vêtement de lumière» que reçut le couple primordial. Il est donc à peu près certain que ce double sens puisse être appliqué à l’étoile à cinq branches qui est l’objet de la présente étude. Nous nous contenterons ici d’envisager le sens le plus universel, sachant toutefois que ce symbole est susceptible de multiples interprétations. Ainsi éviterons-nous, autant que faire se peut, toute tentative de systématisation dont on sait qu’elle ne pourrait conduire qu’à la profanation de la Science sacrée…
On ne saurait trop insister sur l’importance du pentagramme (simple ou étoilé) dans les Mystères antiques. On trouve ce symbole dans l’ésotérisme de toutes les traditions, que ce soient celles de l’Inde ou de la Grèce. Les pythagoriciens qui connaissaient fort bien l’ésotérisme de l’étoile à cinq branches et qui gardaient sur ce sujet nombre d’intéressants secrets, se servaient de ce symbole comme d’un signe de reconnaissance, montrant ainsi avec quel respect ils le considéraient. Signalons encore que la forme pentagonale jouit d’une grande prédilection chez les magiciens. Elle constitue en effet une forme de protection magique universelle et c’est presque toujours au centre d’un pentagramme inscrit dans un cercle que les mages se livrent à leurs “opérations”. Et il ne saurait être question d’autre chose si l’on songe que le pentagramme s’obtient en divisant par cinq, les trois cent soixante degrés d’un cercle. Cette division nous donne le nombre 72 ; or, nous savons que les soixante douze génies de la Kabbale jouent un rôle essentiel en magie et qu’ils constituent sans doute les plus hautes influences angéliques directement opérationnelles dans un domaine où Salomon excellait. Il est vrai, par ailleurs, que Rabbi Yehouda Hanassi attribue les soixante douze lumières à la Couronne (Kether) qui est la plus élevée de toutes les sephiroth.
Le pentagramme est le symbole du microcosme, complément de l’étoile à six branches, symbole du macrocosme. C’est le symbole de l’homme cosmique qui s’inscrit dans ces cinq branches, bras et jambes écartés. À ce titre, l’étoile à cinq branches est un symbole de vie et d’illumination.
Nous remarquons qu’il n’existe pas de fonction pentagonale en cristallographie. Cela confirme l’aspect vitalisateur du pentagramme qui ne semble jamais apparaître dans le règne minéral, règne relativement figé. Par contre, dès que nous passons aux végétaux – dont le degré de vitalité est bien plus élevé que dans le règne minéral – nous trouvons la rose sylvestre à cinq pétales, l’étoile de mer, et bien d’autres structures quinaires. Ce développement de la vie dans la forme trouve en l’homme son aboutissement, faisant de lui un anthropocosme.
En hermétisme, le pentagramme représente entre autres le cinquième élément qui est l’«Akasha» de la doctrine hindoue, la «quinta-essentia» des alchimistes et des philosophes scolastiques, l’«Avir» (Éther) des kabbalistes. Ce cinquième élément est le support des quatre autres et sans lui, nulle vie ne saurait être. À l’égard du feu, de l’air, de l’eau et de la terre, l’Avir joue le rôle d’essence, quoiqu’en lui-même il ne soit qu’homogénéité substantielle. La compréhension de la nature de l’Éther ne saurait être parfaite que si l’on prend pour base de réflexion le principe de l’inexistence du vide, principe d’une importance extrême. En effet, on a trop souvent tendance à vouloir définir l’Éther par des théories atomistes, sans même s’apercevoir que l’on contredit le principe de l’impossibilité de la manifestation qu’est le vide.
Dans les Mystères kabbalistiques, la réalisation de l’homme primordial (qui correspond exactement à l’«Insânul Qadîm» de la tradition islamique) s’effectue une fois qu’ont été gravis un à un les cinq degrés de l’âme. Ces degrés sont : «Nephesh», vitalité ; «Rouah», air ; «Neshamah», souffle ; «Hayah», âme vivante et «Yehidah», âme unique. Quand le dernier degré est atteint, le «Tsaddik», le juste constitue l’archétype de la perfection manifestée. Il est le siège de l’Immanence divine, semblable à Elie, inscrit bras et jambes écartés dans le disque solaire.
La Tradition orale veut que le fruit de l’arbre de la Connaissance soit une pomme. Ce n’est sans doute pas un hasard puisque nous remarquons que si nous coupons latéralement une pomme, ses pépins affectent la forme d’une étoile à cinq branches. Voilà une constatation qui pourrait sans doute mieux éclairer le mythe du jardin des Hespérides et des pommes d’or. Et si nous savons qu’en grec le mot pomme se dit «mêlon», et que ce terme signifie également «mouton», nous comprenons pourquoi l’étoile de Bethléem, qui marque le lieu de la naissance de «l’agneau de Dieu», est décrite comme un pentagramme. De plus, la kabbale phonétique nous permet de passer de la pomme à la paume de la main, ce qui nous ramène toujours à l’étoile à cinq branches (les cinq doigts de la main). Quant à la pomme d’Adam, elle correspond dans les traditions orientales au chakra de la gorge, («Vishouddah»), lequel est justement le cinquième, en relation avec l’«Akashatattva» ! La pomme d’Adam évoque donc le pouvoir du Verbe…
La lettre hébraïque correspondant au pentagramme est la lettre «hé», de valeur numérique cinq, et dont le sens kabbalistique est le souffle divin et la vie. Nous allons voir maintenant toute la précision et la perfection de la Science sacrée. L’homme fut créé le sixième jour. S’il est vrai que le pentagramme est le symbole de l’homme, nous devrions trouver quelque particularité relative au chiffre cinq ou à la lettre «hé» dans la narration de la Genèse à propos du sixième jour. Or, c’est effectivement le cas.
La Bible dit : «Premier jour», «deuxième jour», …, «cinquième jour». Mais lorsque vient l’homme, elle dit «le sixième jour», ajoutant l’article «le» (qui s’écrit en hébreu avec la lettre hé) pour rendre témoignage de l’«image de Dieu». Il est donc tout à fait normal de trouver cette lettre dont la valeur numérique évoque la cosmicité de l’homme, à l’endroit du récit de la Création où il est question de la genèse de l’homme. Et c’est bien pour insister sur la ressemblance parfaite du microcosme (pentagramme) avec le macrocosme (l’hexagramme) que l’homme fut créé le sixième jour et non pas à un autre moment (le six étant bien entendu en rapport avec l’hexagramme).
Pour ce qui est de l’aspect “illumination” du pentagramme et de la lettre hé, il nous faut ici faire appel aux mystères du Royaume des Cieux que Jésus appelait également «le sein d’Abraham». L’entrée dans le Royaume (et il y a là un rapport évident avec la Shekinah dont la résidence est dans la sephira Malkuth (le Royaume) marque la réception de l’Esprit-Saint et de l’Illumination.
Lorsque Abram fut apte à passer le degré de l’Illumination pour être reçu dans la demeure de l’Éternel, Dieu transforma le nom d’Abram en celui d’Abraham. L’adjonction de la lettre hé au nom d’Abram marquait ainsi l’Alliance éternelle que YHWH concluait avec les coeurs fidèles, et cette alliance n’était autre que l’Illumination elle-même. Ainsi, lorsque Jésus parle du «sein d’Abraham», il traite de mystères dont la clarté aveugle bien souvent le profane. C’est l’inscription dans le pentagramme, le sein du nom d’Abraham, le don du hé que le néophyte se doit de chercher, joignant ainsi les quatre fleuves de l’Éden en leur unique source.
Dans les mystères chrétiens, tout commence avec l’étoile de Bethléem et tout finit par le commencement. En effet, l’ultime don du Christ à ses disciples se trouve réalisé dans la descente de l’Esprit-Saint sur les apôtres au jour de la Pentecôte. Or, est-il besoin de rappeler les relations étymologiques du pentagramme, et de la Pentecôte (ainsi appelée parce qu’elle a lieu cinquante jours après Pâques) ? Mais ce don du Christ aux apôtres est-il vraiment le dernier des mystères ? La tradition ne promet-elle pas aux hommes le retour du Lion de Judas qui est justement le cinquième signe zodiacal ?
Dans la doctrine des quatre Âges, le retour à l’âge d’or peut être allégoriquement assimilé à un cinquième âge qui, en fait, n’a rien de différent du premier. Ainsi le chiffre cinq est-il le symbole du retour à notre condition première. Il marque l’avènement et le règne régénéré de l’esprit sur une communauté fraternelle et universelle où toutes les valeurs traditionnelles auront retrouvé leur place.
Le nombre cinq et le pentagramme sont des symboles extrêmement vivants dans la tradition chrétienne. Autour du Christ (qui constitue le plus haut des mystères) se réunissaient des disciples dans un ordre initiatique bien déterminé. Il y avait en premier lieu l’ensemble des croyants, puis les cinq cents témoins de la résurrection, les soixante-dix disciples, les douze apôtres, et enfin, au cinquième degré, le Christ lui-même.
Robert Goutran, dans un ouvrage intitulé La Porte des Dieux, montre les relations géométriques du pentagramme avec le nombre d’or et l’ogive des cathédrales gothiques. Soyons certains d’être encore bien loin d’avoir tout découvert sur les rapports du pentagramme avec les Mystères traditionnels.
Signalons, en guise de conclusion, que l’on ne peut construire de pentagramme étoilé sans en dessiner un autre en sens inverse. Ainsi, le pentagramme étoilé recèle toujours en lui-même son propre complément de telle sorte qu’il ne puisse en être séparé. Peut-être est-ce l’une des raisons – mais non la seule – de la double présence de la lettre hé dans le tétragramme sacré YHWH ?