Par Papus ♦
Extrait de la revue L’Initiation n°6, Mars 1889.
« Une des causes les plus fréquentes de l’obscurité apparente des études de science occulte, c’est sans contredit la confusion des termes employés par ceux qui traitent ces questions. Il est donc indispensable de bien définir tout d’abord les mots qu’on se propose d’employer, sous peine de tomber dans l’erreur que nous venons de signaler.
Peu de termes prêtent davantage à la confusion que celui d’Initié. Les uns considèrent l’initié comme l’être exceptionnel signalé avec vénération par tous les auteurs d’occultisme, les autres n’y voient qu’une signification bien moins élevée et qu’on peut appliquer assez généralement.
Il suffit de se reporter à l’acception primitive de ce mot pour voir que le dernier avis est le véritable. En effet, le titre d’initié dans l’antiquité indiquait simplement un homme instruit et les degrés d’instruction variaient suivant les cas sans que le titre général d’initié subît jamais le moindre changement. L’initie aux petits mystères possédait une instruction équivalente à celle donnée de nos jours par l’Université ; l’initié aux grands mystères apprenait successivement l’existence et le maniement des grandes forces occultes de la nature. Parvenu au summum de cette instruction, il prenait le titre de voyant, de prophète ou d’adepte.
Ainsi Initié et Adepte sont les deux termes qui désignent respectivement le commencement et l’apogée de la carrière de l’occultiste.
Tous les hommes instruits prenaient donc dans l’antiquité le titre d’initiés et les titres de fils de la femme, fils de la Terre, fils des dieux, fils de Dieu désignaient leur élévation hiérarchique dans l’ordre des connaissances humaines.
Sans vouloir nous attarder sur l’enseignement qu’ils recevaient, parlons cependant d’un point très important.
La doctrine enseignée était surtout synthétique et la recherche de l’Unité universelle leur était indiquée comme but de leurs efforts.
D’autre part, on leur apprenait à accommoder l’enseignement aux tempéraments divers des peuples qu’ils étaient chargés souvent d’organiser à titre de législateurs. C’est pourquoi nous voyons les lois d’Orphée, de Moïse, de Lycurgue, de Solon, de Pythagore être si différentes en apparence, alors que tous ces hommes ont puisé leurs enseignements à une même source. La perte de ces données conduit nos législateurs contemporains à la ruine et à l’asservissement des nations qu’ils veulent organiser toutes sur le même pied.
Le peuple possédait donc une religion ou une organisation sociale en rapport absolu avec son tempérament propre, ce qui était un excellent moyen de le rendre heureux : l’homme instruit, au contraire, savait pertinemment qu’il n’existait qu’une seule religion dont tous les cultes étaient des adaptations, comme les couleurs sont les aspects divers d’une seule et unique lumière blanche.
Aussi la guerre religieuse est-elle presque totalement inconnue dans l’antiquité, puisque aucun homme intelligent n’aurait pu même en avoir l’idée ; le peuple seul était capable de ces enfantillages.
La société antique nous apparaît maintenant dans toute la splendeur de son organisation unitaire et nous comprenons pourquoi l’initié peut entrer dans tous les temples et sacrifier à tous les dieux, en communion avec les prêtres de tous les cultes qui reconnaissaient en lui le philosophe de l’unité au même titre qu’eux.
[…]Le rôle de l’initié antique était avant tout social : les initiés formaient dans le monde entier une fraternité d’intelligence unie par une doctrine unitaire. C’est cette fraternité que toutes les sociétés secrètes ont pour but de reconstituer plus ou moins.
Mais tous ces travaux n’ont en somme pour nous qu’un intérêt secondaire. L’antiquité, pour toute aussi attrayante que soit son étude, n’excitera jamais tant notre attention que notre société actuelle. Aussi c’est là qu’il nous faut maintenant voir l’initié.
Disons tout d’abord qu’il est très facile d’être un initié. Il suffit pour cela de connaître les données les plus élémentaires de la Science Occulte et de comprendre, grâce à elle, la nécessité impérieuse de l’union fraternelle de tous les hommes. Ces données peuvent être acquises par le travail personnel ou par les sociétés d’initiation. Ceci demande quelques mots d’explication.
Si l’on a bien saisi la différence capitale que nous attribuons aux deux termes d’initié et d’adepte, il est facile d’en déduire qu’on peut former jusqu’à un certain point des inities; mais qu’on ne forme pas d’adeptes, les hommes, rares entre tous, qui parviennent à cet état ne peuvent le faire que par leurs propres forces.
L’idéal d’une société d’initiation est donc d’indiquer de son mieux à ses membres le chemin du perfectionnement sans pouvoir jamais aller plus loin que cette indication.
La doctrine enseignée doit surtout porter sur cette fraternité, source de tous les développements postérieurs de l’être humain.
Pratiquement la société doit faire tous ses efforts pour réaliser entre ses membres le but qu’elle poursuit et pour faire de chacun d’eux un apôtre militant et, partant, un véritable initié. »
[…]