Par Claude Prépetit ♦
Extrait de la revue Pantacle n°21.
« D’après les enseignements de l’Ordre Martiniste Traditionnel, la voie martiniste, tout en étant au premier chef une voie cardiaque, est également une voie de volonté. En effet, durant son exil sur terre, l’homme doit utiliser sa volonté pour choisir entre la Providence divine et le Destin, car seule la volonté de l’homme peut réunir ces deux puissances de l’univers. Cette volonté, étant essentiellement libre, peut s’exercer aussi bien sur l’action de la Providence que sur celle du Destin.
La Providence, la Volonté et le Destin, appelés les « trois puissances de l’univers », constituent le ternaire universel auquel tout est soumis. Le but de la Providence est la perfection de tous les êtres. C’est la force super intelligente et super consciente par laquelle Dieu agit dans l’univers. Quant au Destin, il correspond à la force fatale et aveugle par laquelle agit la Nature.
L’homme a été fait à l’image et à la ressemblance de Dieu, en référence aux caractéristiques de son émanation quaternaire et de ses trois facultés divines que sont la pensée, la volonté et l’action. En raison de sa chute dans le monde matériel, il a perdu sa qualité quaternaire et l’usage total de ses trois facultés originelles. Il est impératif pour l’homme de revivifier sa volonté, afin de retrouver sa liberté et sa puissance et de reprendre la place qui est la sienne dans l’univers. Comme l’a bien souligné le Philosophe Inconnu, la revivification de la volonté est la tâche principale de tous les êtres coupables ; c’est par la volonté que l’homme s’est égaré, c’est par la force de cette volonté seule qu’il peut espérer être rétabli dans ses premiers droits. La justice veut que l’outil de la chute de l’homme soit également celui de sa réintégration.
Et pour revivifier sa volonté, l’homme, de par sa nature quaternaire, dispose des quatre forces morales synthétisées dans ces quatre termes : savoir, vouloir, oser et se taire. Dans les traditions ésotériques, ces quatre forces sont symbolisées par le sphinx, monstre mythique à tête d’homme, au corps de taureau, aux griffes de lion et aux ailes d’aigle repliées sur ses flancs. Le sphinx, nous dit Papus, est la synthèse antique la plus nette par laquelle on peut représenter les diverses adaptations de l’être humain dans tous les plans. En effet, l’homme nous présente des forces physiques symbolisées par le taureau, des forces morales symbolisées par le lion, des forces intellectuelles symbolisées par l’aigle, enfin une force divine, l’ange, la tête humaine, qui, concentrant les trois forces animales précédentes, en fait une unité. Le sphinx représente non seulement l’homme dans ses quatre acceptions, mais encore ses quatre âges : l’enfance, la jeunesse, l’âge mûr et la vieillesse.
Ce mélange de thériomorphisme (c’est-à-dire de représentation d’une forme animale) et d’anthropomorphisme (représentation d’une forme humaine) se retrouve également dans les récits de la Bible chrétienne, d’abord à l’intérieur du Temple de Salomon devant abriter l’Arche d’Alliance de Moïse, dans la vision du char céleste du prophète Ezéchiel à Babylone et dans le livre de l’Apocalypse de saint Jean, puis à travers la littérature et l’art chrétiens, des peintures murales aux tympans des cathédrales où les quatre visages sont connus sous l’appellation des « quatre Vivants ».
Depuis la construction du grand sphinx de Gizeh en Égypte jusqu’à celle des petits sphinx bordant les seuils des temples, l’homme essaie de percer les mystères de ce monstre mythique et lui a attribué diverses significations : force et autorité du roi, puissance surhumaine, incarnation des dieux, gardien des temples et des palais, démon funèbre et ravisseur, pourvoyeur de la mort, protecteur de l’âme du mort, les quatre évangélistes : Matthieu, Luc, Marc et Jean, le monde créé, les manifestations de la matière qui se spiritualise, etc.
Pour les Initiés, le sphinx a toujours revêtu une signification très profonde. Dans son aspect ésotérique, ce composé du taureau, de l’homme, de l’aigle et du lion, représente la quatruple essence divine manifestée ou densifiée à travers les quatre éléments constitutifs du macrocosme et du microcosme : la terre, l’eau, l’air et le feu. Ces quatre éléments, tels qu’ils apparaissent à nos sens objectifs, représentent la densification ou la manifestation de vibrations suprêmes très subtiles circulant dans l’univers entier. De ce fait, le sphinx représente l’image de la nature calme et redoutable dans son mystère ; il s’apparente à l’Isis terrestre, la nature dans l’unité vivante de ses règnes.
Savoir
Le Martinisme, avons-nous déjà souligné, est une voie de volonté ; par conséquent, la force du Savoir doit être utilisée pour comprendre la place de la volonté dans la constitution métaphysique de l’homme. C’est en mettant en oeuvre cette faculté qu’il peut réellement devenir le principe d’union entre Dieu et la Nature. Par le Savoir, l’homme, en tant que médiateur de la Création, arrivera à comprendre sa place dans l’univers et celle de la volonté dans le processus de réintégration. Toute cette compréhension est facilitée par l’enseignement martiniste qui constitue la nourriture par laquelle l’initié va faire grandir le germe reçu lors de son initiation. Le Philosophe Inconnu nous avertit cependant qu’il est inutile d’accumuler un savoir intellectuel, car pour avancer sur la voie de la réintégration, « ce n’est pas la tête qu’il faut se casser, mais le coeur », qui est l’organe et le lieu où se rendent toutes nos facultés et où elles manifestent leur action. Le coeur est le rendez-vous et l’expression continuelle de l’âme et de l’esprit. Ce Savoir ou cette lumière doit donc être recherchée en nous-mêmes, autrement dit, cette quête du Savoir doit déboucher vers l’introspection, le retournement vers le centre de l’être, le coeur.
Vouloir
Vouloir, c’est d’abord agir, car cette action est le germe essentiel de notre réhabilitation. La volonté est la clé de voûte du salut, nous dit Saint-Martin. C’est aussi la clé des réalisations. Il faut faire attention à ne pas confondre la volonté avec le désir, qui souvent la précède ou la provoque, mais s’en distingue. Le désir est un état d’aspiration vers quelque chose, un état passif ; la volonté est au contraire une activité permanente. Le désir de savoir n’implique pas toujours la volonté d’acquérir. Sur cette terre d’exil, l’homme sent bien qu’il est en état de privation, et rien ici-bas n’arrive à le satisfaire pleinement. Saint-Martin disait : « Il n’y a rien d’aussi courant que l’envie et d’aussi rare que le désir. » Le désir de l’homme, c’est le désir de Dieu, car nous dit encore Saint-Martin : « Dieu est un éternel désir et une éternelle volonté d’être manifesté, pour que son magisme ou la douce impression de son existence se propage et s’étende à tout ce qui est susceptible de la recevoir et de la sentir. L’homme doit donc vivre aussi de ce désir et de cette volonté, et il est chargé d’entretenir en lui ces affections sublimes ; car dans Dieu le désir est toujours volonté, au lieu que dans l’homme le désir vient rarement jusqu’à ce terme complet, sans lequel rien ne s’opère. Et c’est par ce pouvoir donné à l’homme d’amener son désir jusqu’au caractère de volonté, qu’il devait être réellement une image de Dieu. »
Oser
Oser ne doit pas être confondu avec vouloir. Il faut oser pour exécuter sa volonté, parce qu’on ne peut rien faire de sérieux sans effort ; l’audace consiste précisément à affronter le danger ou la souffrance et à lutter contre ces obstacles pour réaliser sa volonté. Le lâche est celui qui n’ose pas. Oser, c’est donc prendre des risques, affronter ses ténèbres, repérer et traiter ses peurs. Tant que la peur sévit en soi, rien ne peut se réaliser. On n’ose pas parce qu’on ne peut pas s’affranchir de la peur, qui peut être à la fois physiologique et psychologique. La vérité n’apparaît que si l’esprit est totalement libéré de toute peur. La volonté doit donc affronter cette ultime peur au vertige que lui donne la vision de sa propre puissance. « C’est notre propre lumière et non pas notre obscurité qui nous effraie le plus », a fait justement remarqué Nelson Mandela. La victoire est certaine si nous persévérons et pour s’assurer une telle conquête, il est nécessaire d’oser.
Se Taire
Le silence est bien une force. Plus on se tait sur ses propres expériences et son savoir, sans toutefois s’isoler des hommes, plus on recevra de gratifications de Dieu, car « les grandes vérités ne s’enseignent bien que dans le silence », nous dit encore Saint- Martin. Le silence tel que décrit ordinairement s’apparente au contrôle de ce que l’on dit, car se taire, c’est garder le silence, c’est-à-dire ne pas parler. Toutes les écoles de mystères nous conseillent de ne pas disperser nos pensées en paroles inutiles. Savoir percevoir ou dire en peu de paroles est, dans plusieurs sociétés, un critère de sagesse. La recherche de ce silence, non pas comme un vide, mais comme plénitude de sens, est l’idéal poursuivi par les mystiques. Mais ce silence ne s’apparente pas seulement au contrôle de la parole, il englobe aussi celui de la pensée et de l’action. En tant que Martinistes, nous devons pratiquer la vertu du silence en oubliant notre propre volonté et en laissant agir celle de Dieu qui vit en accord permanent avec la Providence.
Savoir, Vouloir, Oser, se Taire sont par conséquent les voies qui doivent nous mener vers cette grande force universelle appelée « Lumière ». Ce sont des préceptes ou des qualités essentielles que tout adepte du mysticisme doit acquérir et manifester s’il souhaite atteindre la maîtrise des quatre principes et la Perfection. Ce sont aussi les quatre Piliers sur lesquels nous devons ériger notre temple intérieur pour mener à bien notre quête spirituelle. »