Par Louis-Claude de Saint-Martin ♦
Extrait de Le temple du cœur, Œuvres posthumes, édition Diffusion Rosicrucienne.
J’ai cru que ce serait rendre un service à mes semblables que de fixer leurs regards sur un trésor abondant qui est sous leur main, qui peut procurer des lumières à leur intelligence et des jouissances à leur être essentiel : en un mot sur l’admiration.
Ce n’est pas sans avoir éprouvé de violents combats que je me suis livré à cette entreprise. L’idée de son inutilité est venue souvent enchaîner ma plume ; la crainte de profaner des vérités respectables en les publiant m’a quelquefois arrêté ; enfin des difficultés de situation se sont efforcées de grossir les obstacles à mes yeux. Mais j’ai senti aussi que ce serait molester l’ennemi de la lumière, que de la répandre ; j’ai senti que des esprits de paix et de désir pourraient profiter de ces lumières et me dédommager de ceux qui n’en profiteraient pas ; j’ai senti que, quant aux difficultés de situation, c’était à nous de les éviter si cela nous était permis, ou de les vaincre, si nous ne pouvions pas les éviter : et je me suis lancé dans la carrière.
Ce trésor abondant qui est si près de nous et dont nous verrons successivement sortir de puissantes merveilles, consiste dans une vérité simple et commune en apparence, mais dont jusqu’à présent, on n’a point assez considéré la valeur. Voici cette vérité à la fois vaste et simple, à la fois sublime et commune et qui est en même temps le texte et le germe de tout ce qui sera exposé dans cet ouvrage :
L’âme de l’homme ne peut vivre que d’admiration.
Sous quelque rapport que l’on considère l’homme, on ne trouvera rien en lui qui ne soit un témoignage en faveur de cet axiome. L’homme qui se nourrit de vérités n’est heureux que parce qu’il y trouve de quoi admirer : l’homme qui aime n’est dans un amour vrai qu’autant qu’il peut réellement admirer ce qu’il aime : l’homme même qui se trompe, soit dans ses lumières, soit dans son amour, admire encore, quoique son admiration soit fragile et passagère comme les objets illusoires auxquels il avait imprudemment livré son cœur et son esprit ; enfin lorsque l’homme n’admire pas, il est vide et nul : il est comme plongé dans un sommeil épais et ténébreux.
Si telle est la manière d’être constitutive de l’homme, nous devons croire que notre nature ne nous aurait pas formés avec un besoin aussi universel et aussi impérieux, si elle n’avait pas en même temps pourvu aux moyens de le satisfaire ; elle ne peut pas être moins sage et moins féconde que les autres mères qui toutes peuvent fournir abondamment à leurs enfants toutes les subsistances dont leur loi les rend avides.
Mais ce qui est également certain, c’est que nous n’admirons les choses qu’autant qu’elles sont au-dessus de nous. Les plus grandes merveilles cessent de nous subjuguer dès l’instant qu’elles cessent de nous surprendre et nous pouvons même ajouter d’avance, que ces mêmes merveilles cessent de contribuer à nos plaisirs, dès l’instant où elles cessent de nous subjuguer, tant il est vrai qu’il n’y a pour nous qu’une alternative, celle de la pénurie ou d’une admiration qui nous domine.
De tout ceci, il résulte que si notre essence constitutive est le besoin d’admirer, si notre nature ne peut nous avoir donné un pareil besoin, sans qu’elle ne soit toujours prête à le satisfaire ; enfin, si nous n’admirons que ce qui est au-dessus de nous, il faut qu’il y ait sans cesse et éternellement quelque chose au-dessus de nous que nous puissions admirer à tous les moments, ou nous nous sentirons presser par la soif de l’admiration.
Ces données simples et que tout homme peut vérifier nous amènent naturellement, et par la logique la plus rigoureuse, à la démonstration de l’existence d’une source nécessaire et permanente, d’où les objets d’admiration puissent descendre continuellement près de nous à la voix de nos besoins, comme les fleuves ne cessent de sourcer du sein de la terre pour arroser et aviver toutes ses productions, et comme le lait est toujours prêt à sortir de la mamelle aux moindres désirs de l’enfant.
Aussi cette source permanente et éternelle, dont l’existence nous est indispensable pour que nous ne languissions pas dans notre appétit radical d’admiration, enfin ce nécessaire admirable qui doit toujours être au-dessus de nous, pour que tout en en jouissant, nous ne puissions pas nous en emparer, nous ne courons aucun risque de l’appeler Dieu, puisque chez tous les peuples et dans tous les lieux, ce nom a présenté l’idée d’un être qui est plus que nous, mais qui renferme pour nous toutes les sources d’admiration dont le besoin puisse naître dans notre esprit ; en effet, ce ne peut être que dans cette région supérieure et éternelle de l’admiration, que les hommes de tous les temps ont puisé l’idée primitive d’une divinité, malgré les applications fausses et abusives qu’ils en ont faites et qu’ils en peuvent faire encore. Ce n’est que là qu’ils trouvent à réveiller et nourrir en eux l’admiration de la puissance par les œuvres merveilleuses qui se développent à leurs yeux, l’admiration de la sagesse et de l’intelligence par les profondeurs où l’esprit peut pénétrer, l’admiration de l’amour par le sentiment des abondantes fécondités dont cette source peut enrichir l’âme humaine.
Or, pourquoi cette source supérieure a-t-elle si abondamment de quoi suffire à nos divers besoins d’admiration ? Ne différons pas plus longtemps à le manifester : c’est qu’elle ne se nourrit elle-même que de cette substance ; c’est qu’étant éternellement dans l’activité ineffable et créatrice de sa propre génération, elle est éternellement dans les délices de sa propre admiration ; c’est que sa pensée embrasse et saisit à la fois toute l’universalité de son être, et n’est point exposée comme dans nous à n’embrasser que des facultés partielles, d’où résultent des inégalités et des défauts de mesure ; c’est qu’elle ne peut ainsi que s’aimer toujours et se complaire éternellement et universellement en elle-même ; c’est enfin qu’étant continuellement remplie de son propre amour et de sa propre admiration, lorsqu’elle verse sur nous en quelque sorte la surabondance de ses trésors, elle n’y peut verser que la surabondance de son admiration et de son amour.
Voilà déjà quelques-uns des fruits de la proposition à la fois simple et immense que nous avons présentée ; savoir que l’âme de l’homme ne peut vivre que d’admiration. […]